LA LETTRE

CHEMIN FAISANT
30 Novembre 1997

III. ASSOCIATION POUR LA PENSÉE COMPLEXE
CONJUNTO UNIVERSITARIO CÂNDIDO MENDES


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Unesco

L'Association pour la Pensée Complexe (APC), l'Unesco et le Conjunto Universitario Candido Mendes organisent le premier

Congrès Inter-Latin pour la Pensée Complexe (Cilpec) ß
Rio de Janeiro (Brésil)
septembre 1998

Le Congrès Inter-latin pour la Pensée Complexe (cilpec) a pour objectif de relier ceux qui, dans les pays de langues latines, souhaitent ou entreprennent de relever les défis de la complexité (...)

Le terme complexe prend son sens plein -ce qui est tissé ensemble- dans un tissu de constituants divers inséparablement associés, y compris dans leurs antagonismes.

Le mode d'éducation dominant n'apprend qu'à séparer les objets de connaissance de leur contexte et de leur environnement, à les distinguer dans des connaissances compartimentées. Ce mode d'éducation brise le monde en fragments disjoints, fractionne les problèmes, provoque les carences de l'entendement.

Il y a, face à l'incertitude et à l'imprévu, face à la trame complexe d'ordre, de désordre et d'organisation qui nous constitue, une véritable “ crise de l'entendement ”, qui rend aveugle au contexte et au complexe planétaire. L'intelligence aveugle rend inconscient et irresponsable, au moment où nous avons besoin de reconnaître les problèmes vrais de notre planète (...)

Le défi de la complexité s'intensifie dans le monde contemporain. Nous sommes, en effet, dans une époque dite de mondialisation, qui constitue l'étape actuelle de l'ère planétaire commencée en 1492. Cela signifie que tous les processus locaux relèvent, à leur façon, des processus mondiaux qui, eux-mêmes relèvent des processus locaux. Ce défi signifie aussi que chacun de nous doit reprendre, au coeur de sa condition individuelle, les grandes interrogations sur la condition humaine: Qui sommes-nous et où sommes-nous? Qui étions-nous et d'où venons-nous? Qui serons-nous et où allons-nous? (...)

Le Congrès Inter-latin pour la Pensée Complexe vous propose de réfléchir, ensemble, solidaires, dans un dialogue ouvert, sur le mode d'organisation des idées, sur notre structure mentale, sur notre héritage culturel, sur notre devenir. Chacun d'entre nous a le devoir éthique de prendre sur soi cette réflexion. Chacun doit prendre conscience d'être en son coeur cette humanité qui gémit, “ à demi écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits ”(Bergson). Nous ne savons pas assez que l'enfant des enfants de nos enfants dépend de nous. A chacun de se demander s'il ne peut que survivre dans notre âge de fer planétaire, ou s'il doit entreprendre la réforme de pensée nécessaire pour répondre aux défis de la complexité et faire que se poursuive le processus encore tragique d'humanisation, afin que cette Terre, errant dans le cosmos, devienne notre Terre-Patrie.

©APC, texte présenté par E. Morin, N. Vallejo, A. Pena-Vega. Paris, octobre/97


LA LETTRE

CHEMIN FAISANT
30 Novembre 1997

III. ASSOCIATION POUR LA PENSÉE COMPLEXE

APC

(Loi 1901 ; reconnue au JO du 6.05.92)


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Que veut dire planétarisation?

Raul Domingo Motta ß

“ La crise de la planétarisation, c'est la crise de l'humanité qui n'arrive pas à se constituer en humanité ”.

“ L'humanité n'est pas seulement une notion idéale: elle est [devenue] une communauté de destin ”

Edgar Morin, Pour sortir du XXe siècle (1981).

Globalisation, est-ce un autre nom de l'ère planétaire ou de la planétarisation? Autrement dit, la mondialisation est-elle synonyme de globalisation? Non, la globalisation n'est un autre nom de l'ère planétaire, ni mondialisation n'est synonyme de globalisation.

Et cependant, la globalisation fait partie de la planétarisation, en tant que forme imparfaite de perception/production de celle-ci. On pourra toujours questionner la globalisation; on pourra critiquer et améliorer la dynamique technoéconomique qui l'anime, mais on ne pourra pas pourautant sortir de la simple surface d'une époque, d'un seuil qui s'ignore.

Or, cette époque, ce seuil est l'ère planétaire (Morin).

La globalisation de nos moyens de production est une vision fade ou image réductrice et mécanique d'un processus -planétaire- qui circule comme un virus dans les artères télématiques. C'est une tentative de développer la perception d'un monde quantique. C'est la vision raréfiée d'une attitude des sciences sociales (l'économie, la sociologie, la psychologie, etc.) qui persiste à faire du phénomène global et transdisciplinaire une lecture fragmentaire.

La globalisation est une totalité close, qui laisse des mondes divers à l'intempérie. Comme toute totalité, elle est imparfaite et exclusive. En tant que totalité, la globalisation génère le résiduel qui se trouve saisi dans la dynamique tout-parti (marginalité et residualité) d'un processus propre à une ère planétaire que l'on perçoit de façon fragmentaire ou comme totalité partielle et exclusive, c'est-à-dire, comme mondialisation.

Il est impossible de penser l'ère planétaire comme la généralisation d'un monde particulier qui se globalise: la “ McDonal-isation ”.

L'homme planétaire existe-t-il? Bien évidement, non. Il existe des hommes en errance qui ne voient pas l'ampleur des forces qu'ils ont déclenchées.

L'ère planétaire n'est pas la fin de l'histoire, ni non plus celle des idéologies. L'on a plus de chance de percevoir l'ère planétaire depuis la postmodernité assumée comme une vision provinciale cool, qu'envisagée comme dépassement de la modernité. N'est-elle pas la postmodernité la conscience selon laquelle la modernité est une portion de temps historique converti graduellement en objet de consommation?

La fin de l'histoire peut être pensée dans l'idée d'une globalisation comprise comme totalité close, comme mondialisation exclusive. L'ère planétaire est le jeu des histoires qui dépassent l'Histoire. C'est une “ totalité ouverte ” qui fragmente les idéologies et provencialise les absolus. L'ère planétaire, c'est l'espace-temps qui montre la non vérité de la totalité.

L'ère planétaire, qui commence à peine (1492, selon Edgar Morin, in Terre-Patrie), n'est pas l'ère du “ temps réel ”, c'est l'âge du temps mondial (multiplicité temporelle et synchronie complexe), c'est un vacillement impétueux et étrange que l'on pressent cependant familier.

Chaque jour qui passe grandit le nombre de ceux qui se trouve à la fois pris et exclus, désemparés par les effets de la globalisation. Il s'agit là du sentiment inaugural de l'ère planétaire.

Pendant que la philosophie continue sa démarche fragmentaire, scléreuse, dérisoire, et pendant que la science avance vers l'hiperspécialisation et technobureaucratisation, l'ère planétaire réclame une pensée qui comprenne la dispersion et la fragmentation du savoir, dont le flux articulé d'information et connaissance accroît énormément.

Cette pensée nécessite une attitude transdisciplinaire, qui puisse comprendre la diversité contextuelle et expansive du complexe planétaire. Il faudra donner une “ image ” de ce processus planétaire* . Afin d'indiquer l'intériorisation des tensions et des conflits qui circulent en forme “ globale ”, déterminés par un jeu des contraires, à la fois exclusifs et complémentaires. La diversité d'une société l'oblige, d'un moment à l'autre, à penser la planétarisation du monde et à percevoir la mondialisation des pensées.

Il ne s'agit pas d'un processus déterminé par quelque loi de l'histoire, ni non plus par une loi naturelle. C'est un processus déterminé par son propre jeu auto-organisateur, qui est à la limite de l'instabilité ou suppression de toute diversité (vers l'uniformisation absolue). Ce jeu nécessite un travail de genemorphose, qui démarre par la prise en charge de sa caractéristique principale: la vulnérabilité et la complexité du système global.

Cette vulnérabilité contient en elle-même la force du système, étant donné que l'interdépendance complexe multiplie les maux et les remèdes.

La planétarisation lance le défi d'une gouvernabilité planétaire possible. Peut-être que l'émergence des réseaux sociaux informels, la détérioration des formes associatives rigides, des hiérarchisations pyramidales ne mènent-elles pas seulement au désordre, mais aussi à autre forme d'organisation humaine sur la Terre.

(Traduit de l'espagnol par Nelson Vallejo G.)

La pensée complexe et la musique

Pedro Purroy Chicot ß

Il faudrait restituer, situer et surtout concrétiser le sens fort de la notion de “ complexité ” et, par voie de conséquence, celui de “ pensée complexe ”. Depuis qu'Edgar Morin proposa ces notions, leur sens a partout été utilisé et, forcément affaibli. Pour ce faire, j'essaierai d'établir le rapport entre deux produits humains: l'un est en cours d'émergence, la pensée complexe (la complexité), l'autre existe déjà et on l'appelle la “ musique ”. S'agissant donc des productions humaines, le rapport y est prévisible. Celui-ci va se confirmer, lors de son apparition, dans des domaines qui diffèrent de ceux qu'on accorde à la pensée simple. S'il est vrai toutefois que ces deux produits vont partager leurs caractéristiques, alors la musique doit être particulièrement mise en valeur, afin d'obtenir par elle une compréhension de ce que l'on doit entendre par “ pensée complexe ”. Le besoin d'effectuer cette restitution, cette mise en situation et cette concrétion est devenue pour moi une nécessité, après avoir constaté dans différents colloques la manière erronée et simple -donc affaibli- dont on envisageait la notion de “ complexité ”

Je vais avant toutes choses dire en quel domaine on peut commencer de constater l'affaiblissement du sens fort de ces notions. Si l'on peut, en effet, décrire notre situation actuelle, comme une situation qui correspond au savoir de la complexité, cela ne se justifie que dans la mesure où l'on entend cette situation comme le savoir du savoir de la complexité, comme l'avoir su de quelque chose -la complexité-, qui se présente en nous comme possibilité de savoir complexe, sans en être vraiment le savoir complexe. Nous pouvons savoir (penser) la complexité, mais nous ne pouvons pas encore penser (savoir) à partir de la complexité. Cet “ à partir de ” doit s'entendre comme le complexe qui est toujours intérieur à la pensée, jamais extérieur. C'est alors qu'il y a confusion et affaiblissement du sens. Car, avant d'introduire la complexité à l'intérieur de la pensée, la distinction paraît évidente; alors que l'on a déjà tenté d'agir sur des situations paradoxales déjà considérées extérieurement -par exemple, au sein de ce que l'on appelle “ société ”-. Il faut redire, néanmoins, qu'une chose est d'essayer d'agir sur le paradoxe, une autre est d'utiliser le paradoxe pour agir et une troisième est d'agir à partir du paradoxe. Cette dernière façon d'agir nécessite un type nouveau d'espace et de temps pour penser, qui nécessite à la fois une nouvelle pensée du temps, de l'espace et de la pensée même. Ceci est pour le moment impossible de faire. On verra plus loin pourquoi. Il faudrait un type d'espace et de temps qui soit au moins en accord avec ces paradoxes. Notre esprit ne dispose pas (encore) de ce genre d'espace et de temps nouveaux, qui pourraient servir intentionnellement à l'extérieur et pour l'extérieur.

Si j'ai parlé de restituer le sens fort de ces notions, c'est parce que ce sens avait déjà été établi par Edgar Morin, à partir du moment où il nous invita à penser la pensée complexe comme une possibilité. Morin écrivait: “ on entrevoit donc bien la radicalité et l'ampleur de la reforme paradigmatique. Il s'agit (...) de changer les bases de départ d'un raisonnement, les relations associatives et répulsives entre quelques concepts initiaux, mais dont dépend toute la structure du raisonnement, tous les développements discursifs possibles ” (in Introduction à la pensée complexe ”, page75). Effectivement, là réside la difficulté; là se trouve, en somme, le noeud gordien que l'on essaie de concrétiser. Concrétiser peut aussi bien vouloir dire chercher avec plus de clarté cette chose vers quoi nous nous dirigeons, que se trouver déjà en direction. Reprenons la situation décrite par Edgar Morin. On pourrait l'appeler “ cul de sac ” et la décrire plus concrètement comme l'impasse que voici: chercher à changer les structures du savoir avec les structures du savoir lui même. Je ne veux pas ici discuter ce problème, tel qu'il paraît s'y poser, car la situation exige justement de ne pas s'engouffrer dans une tautologie, à la recherche d'une réponse en plus, mais de l'envisager tel quel, et d'abord comme une impasse. Mais, n'est-on pas déjà en train de faire une description avec les opérateurs de la pensée simple? Il faudra revoir la notion de “ problème ”, tel qu'on la conçoit à partir de la pensée simple. Car ce serait un mirage que de vouloir une issue pour sortir de l'impasse. Il ne s'agit pas ici de concevoir une issue, mais de sortir de cette manière de concevoir, qui conduit à envisager le problème de la connaissance comme un “ cul de sac ” dont il faudrait en sortir. Revoyons en fait le problème de la conception même et, du coup, celui de la perception. Car il n'est pas tant question de sortir de la connaissance que d'y entrer carrément. La difficulté fondamentale est dans notre manière de concevoir et de percevoir, dès lors que des notions comme “ difficulté ”, “ complexité ” sont employées par la pensée simple. En outre, il y a une difficulté déjà dans le degré de perception par lequel on “ mesure ” la difficulté d'une situation à percevoir. Je constate que la confusion persiste ici, et se concrétise dans la direction que je prends pour concevoir la notion de “ percevoir ” et celle de “ sortir ” d'une impasse perçue telle.

Prenons l'exemple de la musique et voyons les situations difficiles à percevoir pour la pensée simple. Autrement dit, voyons ce qui arrive dans la musique et la pensée complexe. Par rapport à la musique ou à l'objet musical -qui est un produit humain-, la situation de l'homme est absolument singulière. Cette singularité apparaît aussitôt l'homme cherche à savoir ce qu'est la musique. L'objet musical est irréductible au savoir et à toute tentative de savoir sur le savoir musical. Devant la musique, on découvre deux types de “ savoirs ”. D'où il s'ensuit une drôle d'alternative: tantôt l'on reste dans l'état, c'est-à-dire, dans le paradoxe d'une chose dont on connaît le savoir faire et l'on ignore le faire savoir; tantôt l'on tente d'accéder à ce savoir ignoré que l'on sait pourtant faire. Autrement dit, il faut tenter de connaître cet autre savoir que l'on sait. L'objet de cette connaissance s'avère fait, non seulement d'autre savoir, mais aussi d'autre logique.

L'objet musical est un objet de cet autre savoir. On peut percevoir comment la musique transporte sa globalité dans sa linéarité (unidirectionalité), de sorte que la lecture musicale, par exemple, oblige à lire sur la ligne une multidirectionnalité, une multidimensionnalité. On finit de fait par comprendre que la justification de la ligne (de la linéarité) soit de communiquer sa propre contradiction. Elle est à la fois locale et globale. Ceci vient du fait que l'objet musical n'est pas conçu dans une succession, mais dans une globalité simultanée. Il est, en ce sens, un objet complexe. Cependant, c'est un beau paradoxe qu'une chose contienne à la fois son contraire et la justification de cette contrariété. Il est encore plus paradoxal le fait de ne pas pouvoir décider si la globalité doit se comprendre à partir de la linéarité ou la localité, autrement dit, si la globalité est “ observable ”, “ perceptible ” localement; ou si la globalité n'est que le résultat d'une inclusion dans la localité. La globalité apparaît à la fois comme participant au local et comme intégration du local dans le global. Il y a beaucoup de difficulté à imaginer quelque chose du genre; autrement dit, à imaginer quelque chose d'emblée -en l'occurrence l'objet musical- sans pouvoir percevoir le processus par lequel cela devient possible. C'est objet paraît alors fait avec une autre imagination, un autre savoir une autre pensée. On peut dire que ces actions: imaginer, savoir, penser, sont des “ complexes ”.

Lorsque l'on tient compte de la complexité elle-même, de tels actes apparaissent. Voyons de plus près; considérons la complexité d'après ce qui est, certainement, la meilleure façon de la voir: la possibilité pour une autre forme d'accéder aux choses. Car, si la complexité apparaît comme une alternative pour la pensée, c'est que la pensée simple a été remise en question dans sa manière de comprendre les choses (notamment en microphysique, en microphysique, en mathématiques... et, bien entendu, en musique). Le problème se trouve, en effet, dans le mode d'accès aux connaissances de la pensée simple. Il faut une autre forme d'accès au savoir ou un autre mode de connaissance. Cependant, en plaçant de la sorte le problème -le situant dans une modalité quasi spatiale-, nous avons multiplié par deux le problème, puisqu'il faut alors poser la question d'un méta-accès à la connaissance. Or, si notre mode d'accès simple à la connaissance des choses ne vaut pas, alors comment ferait-on pour accéder, à partir de la pensée simple, à un autre mode d'accès à la connaissance? L'accès devient, en somme, inaccessible, car il faudrait toujours faire appel à une nouvelle forme d'accès, et ainsi à l'infini. Si l'on insiste de la sorte, on se retrouve de nouveau dans un “ cul de sac ”. Il faut donc sortir de cette façon de percevoir le problème de l'accès à la connaissance. Il faudra finir par comprendre que le problème vise notre vielle notion de méta-niveau. Mais l'on doit comprendre encore une fois qu'ici se repose la question du niveau d'espace et, par conséquent, le problème du niveau du méta-niveau et ainsi de suite... Il y a une difficulté fondamentale à imaginer de la sorte un méta-niveau du méta-niveau. Chacun peut en faire l'expérience.

Je dois dire que la musique témoigne de cette expérience complexe, car elle émerge en méta-nieveau d'elle-même. La musique est à la fois résultat et production du résultat. En ce sens, elle se comporte comme un méta-niveau d'elle-même.

L'on pourra dire pour finir que le savoir qui opère dans la musique utilise donc ce genre de méta-niveau. Cette expérience permet de savoir ce que veut dire “ savoir -ou penser- à partir de la complexité -à partir du paradoxe- ”. Le savoir sur la complexité est à comprendre en ce sens fort: un savoir sur...à partir de.

L'expérience musicale m'a appris que ce “ savoir à partir de la complexité ” a le sens d'un savoir sur une connaissance qui utilise la complexité pour apprendre. Les propriétés que l'on trouve dans l'objet musical -un autre type d'espace et un autre type de temps- font comprendre l'inversion qu'il convient d'effectuer, afin de repenser des modes de perception fixés dans un même espace et conçus dans un même temps. Inverser notre mode habituel de percevoir et de concevoir n'est certes pas facile. La difficulté est peut-être proportionnelle à l'effort requis pour prétendre à ce qu'Edgar Morin a appelé “ pensée complexe ”. L'enjeu en vaut le défi.

(Traduit de l'espagnol par Nelson Vallejo G.)


Communication existentielle et pédagogie complexe ?

Eugénie Véglérisß

Karl Jaspers distingue trois genres de “ communication ” pour ne retenir, comme authentique, que la troisième. La “ communication empirique ”, qui est échange d'informations utiles au sujet vital, c'est-à-dire à l'individu humain en tant qu'il doit assurer sa subsistance et améliorer les conditions matérielles de sa vie. La “ communication rationnelle ”, qui est échange de savoirs théoriques produits par le sujet du cogito, c'est-à-dire l'individu humain en tant qu'il aborde lui-même le monde par le biais des concepts, lesquels expulsent la chair du réel pour n'en retenir qu'idées générales. Ces deux communications, incontestablement nécessaires, sont tragiquement insuffisantes. En laissant hors d'elles la relation vivante à autrui, elles transforment les sujets vivants en choses parmi les choses et en abstractions parmi d'autres abstractions.

La “ communication existentielle ” commence dès lors que je choisis de livrer à cet autre-là ma “ vérité subjective ”, les raisons à partir desquelles j'exerce ma liberté dans le brouillard du présent et l'incertitude de l'avenir. La communication existentielle a lieu dans une ouverture qui n'abolit jamais la solitude mais, au contraire, la maintient comme condition de tout “ éclairement de l'existence ”. Ce que je cherche en l'exposant dans l'exposé de ce qui tricote ma différence n'est ni l'approbation ni l'amour, mais la rude rencontre avec l'originalité de l'autre. Cette rencontre est la source d'un cheminement où l'autre et moi comprenons que la vérité est irréductiblement subjective et irrévocablement inachevée. Subjective, parce qu'elle est toujours celle d'un sujet qui prend sur lui d'aller jusqu'au bout de sa solitude fondamentale. Inachevée, parce qu'elle n'est jamais découverte qu'en ébauche par un sujet qui assume le risque de se frotter à la vérité des autres.

La compréhension émergeant de la communication existentielle rayonne autour d'un noyau: “ L'homme est toujours plus que ce qu'il sait de lui et de ce qu'il peut en savoir ”. Ce débordement irrésorbable, qui voue à l'échec toute théorie prétendant expliquer la réalité, porte la pensée à prendre ensemble des théories différentes et contraires. La combinaison des points de vue génère une approche qui, refusant la causalité extérieure et linéaire, permet l'intuition de la logique interne et complexe qui articule chaque situation et chaque être. Philosophe et psychiatre, Jaspers initie la “ psychologie compréhensive. Celle-ci se compose de deux actes indéchirablement liées: connaître la connaissance en étudiant les diverses hypothèses et procédés cliniques; engager avec le patient une relation de dialogue. Ce qui est en jeu, c'est la possibilité de liberté d'un individu mis en face de la volonté d'authenticité d'un autre. L'enjeu, ici comme dans toute relation interhumaine, est de ne jamais détacher la “ raison ” de l' ”existence ”. Mais, éclairant l'existence par la raison, engager le passage d'une situation fermée et isolante à la construction de son humanité reliante et solitaire.

La communication existentielle protège des violences des prétendues “ vérités définitives ”. Celles-ci ne sont pas dans les hypothèses vérifiées des sciences conscientes du caractère temporel de leurs connaissances. Elles sont dans les affirmations dogmatiques qui imposent à tous représentations du monde ou recettes pour mieux être. Ces “ non-vérités ” court-circuitent la communication en organisant la formation. La “ formation de l'homme ” vise à transformer l'individu, non pas en l'éveillant à ses possibilités personnelles, mais en le conformant à un modèle préfabriqué. Technique pour produire des stéréotypes, toute formation de l'homme est discipline qui enferme, déforme et achève. Pour se libérer des vérités mensongères, l'homme “ a besoin de la discipline plus profonde de la transparence constamment exercée de la communication ”.

Par le détour de Jaspers, nous pourrions nous interroger sur l'inflation du produit, et du mot, “ formation ”. L'achat des “ formations ” est à la mode et les entreprises les payent très cher: formations à l'encadrement des hommes et à la gestion des ressources humaines. Dans les universités se sont déjà installé les “ Unités de formation et de recherche ”. Il existe des organismes privés et publiques qui forment les “ formateurs ”. L'ancienne École Normale des Instituteurs se trouve maintenant sous l'enseigne de la “ formation des maîtres ”. Le terme de formation a-t-il l'innocence des mots qui rêvent, ou des concepts philosophiques déconnectés des faits? N'a-t-il une définition précise qui stipule des comportements réglementés par la loi? La formation désigne la transmission méthodique de savoirs et de savoirs-faire, et elle fait l'objet d'une évaluation qui mesure quantitativement l'efficacité de l'apprentissage. Quand elle concerne la conduite des hommes, la formation risque fort de procéder par conditionnement, de cadrer, enfermer et discipliner les questions ouvertes. De bloquer, en somme, le développement de la “ pensée complexe ”.

Ces risques nous portent à nous demander ce que sont un enseignement et une éducation complexes. Comment un pédagogue peut-il puiser ressource dans les contradictions de sa situation? Comment peut-il se tenir à la fois dans la position de celui qui ne sait pas et de celui qui sait? L'homme le plus instruit ne sait pas tout, et pour l'éducateur le plus expérimenté l'élève reste imprévisible. C'est grâce à cette part d'ignorance consciente que se réveille et s'épanouit le désir d'apprendre, lequel n'existe que s'il est réciproque. Ne peut transmettre goût de savoir et savoir que le maître qui lui même s'enrichit des questions de son élève. D'autre part et en même temps, le maître doit être suffisamment instruit pour pouvoir réellement transmettre. Un désir d'apprendre qui ne rencontrerait que du vent s'essoufflerait bien vite. Alors? Comment réaliser la boucle inter-rétroactive présenté par Edgar Morin? Comment, par le détour de la pensée complexe, pourrions-nous éviter le piège de la “ formation ”, signalé par Jaspers?

Et, distinguant de façon tranchée la communication rationnelle et la communication existentielle, Karl Jaspers ne reste-t-il pas sur une opposition alors qu'il pourrait penser une articulation?

Pour ma part, je trouve que le mot “ formation ”, et sa définition institutionnelle, sont au service du paradigme réductionniste alors même qu'ils affichent l'intention contraire. Mais je sais également que le changement advient de façon subversive dès lors que, empruntant les entrées conventionnellement assurées, on ose des marches incertaines. Par expérience je sais qu'il est possible de surmonter les distinctions de Jaspers en liant “ communication rationnelle ” et “ communication existentielle ”. Peut-être est-ce dans cette articulation là que se trouve la naissance d'une piste. Ne peut apprendre à quelqu'un d'autre que celui qui relie subjectivement et pour lui-même ce qu'il a appris. Seul peut inspirer la curiosité et l'acte de l'apprentissage celui qui a transmué les connaissances rationnelles en culture vécue. Si la culture est, comme dit Morin, la capacité de situer les situations dans le contexte qui éclaire leur sens, l'articulation entre les niveaux de communication a lieu à cet endroit là.

François Jacob nous dit que le “ bricolage ” est la manière d'apprendre du vivant. Peut-être avons-nous à bricoler la relation pédagogique complexe. En nourrissant la communication rationnelle des savoirs et savoirs-faire de nos vérités subjectives par lesquelles nous vivons notre pensée et pensons notre vie.


“ Complexus info ”

Alfredo Pena-Vega & Nelson Vallejo G. ß

Au cours de ces dernières années n'ont cessé de se développer dans les milieux académiques et culturels latino-américains, maintes initiatives scientifiques ayant pour points communs: l'émergence d'une conscience de la discontinuité, de la non-linéarité, de la différence, et surtout, de la nécessité d'un dialogue multidimensionnel comme forme de compréhension des réalités complexes socio-économiques, politiques culturelles, éthiques, etc., dans lesquelles nous vivons.

Ces expériences, qui se réfèrent à la pensée complexe, ont produit des résultats forts divers, allant de la fondation d'un Instituto Internacional para el Pensamiento Complejo (Universidad del Salvador, Buenos Aires), à la création d'une Chaire Edgar Morin (Universidad Santo Tomas de Aquino, Bogota), ou à la formation de groupes de réflexion en réseau (internet), en passant par des publications et/ou traductions d'ouvrages, d'articles, et par la réalisation de séminaires, colloques, congrès. Il ne s'agit pas ici de rendre compte de l'intégralité de ces activités, mais d'insister sur leurs manifestations les plus marquantes, qui témoignent du cheminement irréversible vers une “ réforme de la pensée ”.

Les espaces de réflexion

Parmi ces manifestations marquantes, on peut signaler la création à l'Universidad del Salvador (Argentina) de l'Institut International pour la Pensée Complexe, sous la présidence du recteur de l'Université, Juan Alejandro Tobias, la direction de Raul Motta et Genoveva de Mahieu. Les Membres d'honneur du Conseil Académique International sont: Edgar Morin, Directeur ad honorem, Ilya Prigogine, Aldo Tiezzi, Jean-Louis LeMoigne, Basarab Nicolescu. L'objectif de l'Institut est l'étude et la promotion de différentes modes et formes de pensée qui permettent de répondre aux défis du complexe mondial, dans ses processus culturels, scientifiques et technologiques. Outre l'ouverture d'un espace de réflexion participative et de production scientifique, l'Institut encouragera la construction des pratiques collectives, à partir d'une approche transdisciplinaire, en vue de promouvoir de manière articulée les connaissances et les actions dans des projets fondamentalement liés à la problématique de la complexité et à la transdisciplinarité, considérés indissociables pour la compréhension du contexte et du complexe planétaire dans chaque domaine de la connaissance

Avec l'initiative précédente, a été annoncée -dans une autre partie du continent, en Colombie- l'ouverture d'une Chaire Edgar Morin, dans le cadre des activités d'enseignement de l'Université Santo Tomas (Bogota), sous la direction de Sergio Gonzales Moena. En fait, les objectifs de ces deux projets convergent fortement, c'est-à-dire la recherche d'une transgression des vieux paradigmes, et l'intérêt pour construire de nouveaux champs de connaissance. La Chaire Edgar Morin s'adresse essentiellement à ceux qui cherchent surtout un mode d'enseignement où l'utilisation des concepts migratoires va permettre un décloisonnement disciplinaire dans le domaine de la psychologie.

Notons que certaines initiatives s'inscrivent dans un long travail d'objectivation à travers des séminaires et des congrès organisés en Amérique Latine avec la participation du “ réseau complexus  ”, dont les plus récents sont:

® “ Première rencontre internationale pour la pensée complexe en Colombie: complexité et travail transdisciplinaire ” (Medellin, février 1997), à l'Universidad Pontificia Bolivariana, sous les auspices de l'Unesco, l'Ambassade de France en Colombie et le Ministère de l'Éducation colombien (Colciencias). Il s'agissait d'un séminaire de quatre jours qui avait pour ambition de promouvoir la productivité et la créativité en milieu spécialisé, notamment dans le milieu économique, médical, juridique, éducatif et scientifique. Une critique de la spécialisation dans ces domaines fut présentée, non pas tant la prise de conscience de l'étroitesse de la vision spécialisée, que plutôt la conséquence d'une “ prise de conscience de la pauvreté des idées générales qui accompagnent cette vision spécialisée ”(Morin, in Sociologie). On essaya de montrer que l'on n'avait pas besoin d'idées générales, mais génériques. Car, d'après la leçon morinienne, “ seules les idées génériques peuvent inspirer une stratégie et un art de penser réel, c'est-à-dire une pensée qui puisse s'articuler sur la complexité du réel, au lieu de la nier et de s'arrêter dès que surgissent une incertitude, une contradiction, une ambiguïté ”.

® Pensée complexe, éthique et ecopolitique ” (Bogota, mars 1997), à l'Universidad de la Salle.

® “ Morin par Morin: l'aventure intellectuelle de la pensée complexe ” (Mexico, mai 1997), à l'Universidad Iberoamericana, sous les auspices de l'Universidad Autonoma de Mexico et l'Institut français pour l'Amérique Latine. Ce séminaire trouva un écho étonnant. Des articles et des intretiens dans les plus grands journaux du Mexique l'ont précédé et, chose remarquable, deux journaux nationaux (La Réforme et La Jornada) ont dépêché des envoyés spéciaux qui suivaient au jour le jour les conférences et les ateliers, et qui en rendaient compte le lendemain dans leur journal. Les participants ont cherché à approfondir cette phrase d'Edgar Morin: “ Nous tous, riches ou pauvres, nous portons en nous-mêmes sans le savoir, la Planète entière. La mondialisation est à la fois évidente, subconsciente et omniprésente ”.

® “ Éthique du futur ” (Rio de Janeiro, juillet 1997). Organisé par l'Unesco et le Conjunto Universitario Candido Mendes. Ce colloque s'est tenu sur le thème des fondements d'une “ morale à venir ”, une morale universelle pour le prochain siècle. Cette “ éthique du futur ” est la conscience que l'enfant des enfants de nos enfants dépend de nous et que nous sommes responsables et solidaires de la “ Terre-Patrie ” que nous léguons à la génération à venir. Ce n'est pas l'argent, le capitalisme, la “ globalisation ” que nous avons à léguer à nos enfants, soulignait Edgar Morin, c'est notre “ Terre-Patrie ”.

® GRECOM (Groupe d'étude de la complexité) de l'Université Fédérale du Rio Grande do Norte (à Natal, Brésil), sous la coordination de Maria da Conceiçao de Almeida. Crée en 1994 à partir du groupe d'étude sur la science et la connaissance, connu sous le nom de “ groupe Morin ”, le Grecom a pour objectif le développement d'études et de recherches approchant la thématique de la complexité, suscitée notamment par la pensée d'Edgar Morin, Ilya Prigogine, Henri Atlan. Il s'agit de viabiliser un espace de réflexion pour les recherches, dont les investigations et les projets académiques tendent vers la construction d'une connaissance planétaire, de nature transdisciplinaire, au-delà des coupures entre homme/vie/monde/physis. Ce Groupe rassemble des chercheurs des différents secteurs qui essayent d'élargir les frontières des savoirs, afin d'établir un espace de dialogique propice à une “ civilisation des idées ”, et au dialogue plus solidaire et respectueux des savoirs non domestiqués par les codes scientifiques. Le Grecom privilégie à la fois, dans la diversité des thèmes et des méthodologies, la construction d'une épistémologie de la complexité.

® Revue Complejidad, dirigée par Raul Motta (Buenos Aires, Argentina). Cette revue fait sien le défi lancé par l'oeuvre d'Edgar Morin, à savoir: penser en termes planétaires la politique, l'économie, la démographie, l'écologie, la sauvegarde des trésors biologiques, écologiques et culturels; associer dans la réflexion les éléments de la globalité dans une articulation organisatrice complexe, afin de recontextualiser la globalité.

Il est évident que ces manifestations ne font que valider le besoin d'une réforme de la pensée. Et pour y arriver plusieurs chemins confluent. Il existe notamment une convergence de taille dans la plupart de ces séminaires, congrès et colloques, celle de l'existence d'un épuisement d'un paradigme dominant de disjonction et de réduction, et l'application d'une nouvelle approche conceptuelle, clé de voûte de ce que l'on peut appeler la réforme paradigmatique.

Les livres

Sur le plan de publications, parmi les nombreux ouvrages diffusés ces dernières années, celui qui fait figure de référence est:

® Nuevos paradigmas, Cultura y Subjetividad (sous la direction de Dora Schnitman). Cet ouvrage rassemble les interventions faites, lors d'un congrès organisé par la Fondation Interfas, à Buenos Aires, Argentina. Les thèmes abordés dans ce livre sont d'une grande richesse conceptuelle: les paradoxes dans la pensée contemporaine, les dilemmes contemporains dans la culture et la société, subjectivité et thérapie dans le monde postmoderne, auto-organisation et complexité. Autant de réflexions qui nous amènent vers l'élaboration d'un nouveau paradigme dans la construction de la connaissance. Ce qui fait également la richesse de cet ouvrage collectif, c'est une incertitude, et surtout la multiplication des points de vue à travers un dialogue ouvert, une réflexion curieuse, mené par d'éminents représentants de la pensée multidimensionnelle, parmi lesquels se trouvent: Edgar Morin, Ilya Prigogine, Heinz Von Foerster, Ernst Von Glaserfeld, Felix Guattari...Déjà traduit au portugais (du Brésil), ce livre paraîtra prochainement dans une édition anglaise aux États-Unis (Hampton, Press).

Parmi les publications plus récentes des chercheurs latino-américains, cinq autres livres reflètent bien l'état d'esprit dans lequel émerge aujourd'hui ce besoin de proposer un autre savoir-penser, qui ne s'obtient pas par recette, ni méthodes “ prêt-à-porter ”, mais dans un savoir-organiser nos propres expériences; autrement dit, il s'agit de comprendre quels principes commandent l'organisation des idées qui organise la pensée du réel.

® C'est précisément dans cette optique que se situe le livre de Sergio Gonzales Moena, Pensamiento complejo: en torno a Edgar Morin, America Latina y los procesos educativos. Il s'agit pour Gonzales Moena d'organiser une réflexion qui puisse relier à la fois la localité et la globalité du contexte Latino-américain. Gonzales Moena se sert du concept morinien, unitas multiplex, pour appréhender la réalité d'Amérique Latine, où les antagonismes sont à la fois complémentaires et excluants.

® C'est aussi l'avis exprimé par Ubritan D'ambrosio dans son livre Transdisciplinariedad. La “ transdisciplinarité ”, selon D'ambrosio, n'a pas pour objectif de construire une nouvelle philosophie, pas plus qu'une nouvelle science de la science, ou encore moins une posture religieuse. L'essentiel de la transdisciplinarité résiderait dans une posture de reconnaissance, là où le quadrillage espace/temps fait défaut, qui permet une explication complexe d'une réalité.

® Le livre d'Edgar de Assis de Carvalho, Polefonicas Ideas, Antrologia e Universidade, est une invitation à la réflexion épistémologique, à travers un survol de l'oeuvre morinienne, en mettant notamment l'accent sur une anthropologie de la complexité, la transdisciplinarité et l'universalité de la condition humaine. On aurait voulu savoir plus sur comment le “ contenant brésilien ”, qui s'enfonce de plus en plus dans une crise épidermique, pourra-t-il surmonter le désenchantement d'une “ modernité en panne ” et incapable de nouveau projet de civilisation.

® Le livre d'Alfredo Gutierrez Gomez, Deslimitacion. El otro conocimiento y la sociologia informal, est orienté vers la réflexion sociologique d'une réalité où les expériences vécues quotidiennes sont des “ formes sociales informelles ”. Selon Gutierrez, l'informel, présent dans les êtres et dans l'espace de l'ordonné/désordonné, n'est pas moins réel, ni moins rigoureux, mais il est simplement un effort de renonciation à l'exactitude. La sociologie de l'informel, plus que témoignage d'une expérience du vécu (présent/passé), est une invitation à relier les débris de la perception avec le sens de la réalité même. En d'autres termes, c'est un façonnage des représentations dans la construction d' ”une connaissance de la réalité pour la réalité de la connaissance ”, c'est un jeu de miroir avec toutes les formes d'approximation d'avec un objet. Celui-ci ne serait plus un objet externe, mais une émergence du centre de la curiosité, là où l'observateur se trouve immergé: la société qu'il prétend découvrir.

® Ensaios de Complexidade (sous la direction de Ceiça de Almeida, Edgar de Assis Carvalho, Gustavo de Castro). Ce livre est une publication dont l'initiative revient au GRECOM (Grupo de estudos da Complexidade) de l'Université Fédérale du Rio Grande do Norte (Brésil). Comme dit Edgar Morin dans la Préface, ce recueil “ est un bouquet qui nous donne à voir les cent fleurs de la complexité, issues de la même préoccupation commune: répondre au plus grave défi que rencontre notre intelligence. Ce recueil demande au lecteur de butiner chacun des textes, de les confronter dans son esprit, il l'invite à penser lui-même, de façon autonome, à partir de ces contributions, selon l'adage “ aide-toi, la pensée complexe t'aidera ”.

En ce qui concerne les récentes traductions parues, on peut mentionner:

® A Teoria do Sistema Geral (La théorie du Système Général -théorie de la modélisation), de Jean-Louis LeMoigne, traduit en portugais. Ce livre constitue un apport fondamental au débat théorique, pédagogique et pratique de la systémique, au moment où s'affirme dans les pays lusophones, notamment au Brésil, un grand intérêt pour l'approche de la modélisation des systèmes complexes. On regrette seulement qu'il n'y ait pas encore une traduction en castillan, qui donnerait un plus grand écho en Amérique Latine ce livre formidable.

Meus Demonios (Mes Démons, d'Edgar Morin), traduit en portugais. La critique brésilienne réserva un accueil chaleureux à ce livre d'écrivain, d'historien, de penseur, qui relève le défi d'une pensée complexe.

(Paris, octobre/97)


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