97
Table Ronde

9.2.B

Lundi 9 Juin

16h15-18h
DYNAMIQUES NON- LINÉAIRES DANS LES COMPORTEMENTS HUMAINS


A la mémoire de Gérard Clergue





L'Atelier MCX consacré à la Dynamique des Systèmes Non Linéaires dans les Sciences de l'Homme et de la Société avait été conçu et mis en place par notre collègue et ami GérardGérard, au lendemain de la 5ème Rencontre MCX (Aix en Provence) où il nous avait présenté quelques arguments de la thèse qu'il venait de soutenir brillamment : " L'avènement de la complexité dans la construction des apprentissages ". Il nous avait passionné par son projet en nous associant au montage d'un " atelier MCX ", atelier qu'il voulait lancer en 1997 en préparant cette Table Ronde pour la Rencontre MCX 1997 au Futuroscope. Sa brutale et cruelle disparition n'a pas compromis le projet collectif qu'il nous proposait. Nous avons souhaité symboliquement rendre hommage à notre ami et au pionnier en dédiant cette Table Ronde à sa mémoire, et en l'introduisant par un extrait d'une des contributions qu'il avait rédigé pour lancer les travaux de l'atelier.

Animation : P. LESTAGE (Univ. De Bordeaux), D. BOURCIER (IDL, CNRS)
Contributions préparées

G. CLERGUE (in memoriam)
" Si tu veux connaître, apprends à agir... "
D. BOURCIER

(IDL CNRS, Paris)
" Le droit est-il un système dynamique ? "

M. CLERGUE

(Ingénieur doctorant informatique)
" Dilemme itéré du prisonnier : émergence de la coopération "
R. DELORME

(CEPREMAP, CNRS, Paris)
" Dynamiques non linéaires : interrogations "

P. LESTAGE

(Université de Bordeaux 2)
" Légitimité, pertinence du transfert des concepts de non-linéarité des sciences exactes vers les sciences humaines.
M. LINARD

(U. Paris 10)
" La décision, moment de l'activité humaine... "

P. VIDAL

(U. Aix-Marseille 3, GRASCE, CNRS)
" Dynamique des systèmes non linéaires, écologie cognitive et construction des représentations "

Dynamiques non linéaires dans les comportements humains
9.2
Si tu veux connaître, apprends à agir....

G. CLERGUE ( in memoriam)

B

Lundi 9 Juin, 16h15-18h



Paradoxe fondamental de tout apprentissage, l'être humain possède l'aptitude fascinante de pouvoir, en même temps, reconnaître dans la réalité ce qui a déjà été appris et inventer de nouveaux cadres conceptuels pour s'adapter à la réalité. En d'autres termes, il sait quand assimiler un ensemble de données à une forme apprise et quand accommoder les schèmes existants pour intégrer de nouvelles données. Les théories de la complexité aident à comprendre cette dynamique des systèmes cognitifs à travers les transitions de phase qui caractérisent les systèmes auto-organisés.

Nous définissons la complexité comme étant la propriété émergente des systèmes dynamiques non linéaires à la charnière entre la stabilité et l'instabilité. Elle constitue la nouvelle frontière de la pensée scientifique de plus en plus à l'étroit dans le déterminisme réductionniste. La théorie du chaos déterministe montre que l'ordre et le désordre peuvent coexister et qu'un changement infinitésimal dans l'un de leurs paramètres peut faire bifurquer brutalement les systèmes caractérisés par leur grande sensibilité aux conditions initiales.

Les aspects variés de la cognition ne relèvent pas de la juxtaposition de divers systèmes d'organisation, mais de l'émergence de différents niveaux d'organisation au sein du même système bio-cognitif intégré qu'est l'organisme humain. Le système cognitif qui représente la succession des images mentales et des concepts qui varient au cours du temps, peut se comparer à une surface d'énergie sculptée de monts et de vallées. Les états mentaux sont les attracteurs de dimension fractale, vers lesquels ces images convergent en se stabilisant. Ce paysage cognitif, qui est un espace des phases, se transforme avec le temps, et les bassins d'attraction sont remodelés quand l'expérience de l'individu s'enrichit. Le développement des neurosciences et la psychologie des apprentissages nous invitent à renoncer à l'hypothèse fonctionnaliste et au modèle computationnel de la connaissance qui la sous-tend, pour fonder, à la place, la structuration des connaissances sur la dynamique et les représentations spatio-temporelles. La nature systémique des processus mentaux se confirme. Et la place importante qu'y occupent les émotions et l'expérience sensible montrent qu'ils ne peuvent en aucun cas se réduire à un simple traitement de l'information.

La théorie connexionniste qui rassemble les modèles informatiques baptisés Réseaux de Neurones Artificiels par analogie avec le tissu cérébral dont ils s'inspirent, est une théorie de l'émergence du sens par auto-organisation d'entités qui en sont dépourvues. Dans les modèles connexionnistes chaque concept, chaque image, fait appel à des unités dispersées, qui peuvent remplir elles-mêmes plusieurs fonctions. C'est un processus distribué parallèle.

A côté des savoirs formels établis de façon rigoureuse, il y a une place pour les savoirs abductifs, qui reposent sur des raisonnements analogiques, grâce auxquels nous nous conduisons en expert. Les connaissances symboliques de nature formelle peuvent dès lors être envisagées, non plus comme le fondement de la pensée, mais comme une variété parmi d'autres des connaissances construites par chaque individu. Ce qui est lourd de conséquences sur le plan pédagogique.


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Rencontres MCX 6 - Poitiers, Futuroscope, 9 et 10 Juin 1997


Dynamiques non linéaires dans les comportements humains
Le droit est-il un système dynamique ?

D. BOURCIER IDL CNRS, Paris

9.2

B

Lundi 9 Juin, 16h15-18h


Les juristes, consultés, s'accorderaient tous pour dire que le droit est un système c'est-à-dire un ensemble d'éléments en interaction formant une totalité et manifestant une certaine organisation.

Mais cet accord cache des intérêts théoriques et pratiques très divers. Ceux qui s'intéressent au traitement informatique font appel à la théorie des systèmes en tant qu'elle permet de construire, au delà de toute métaphore, un modèle. La finalité, dans ce cas, est modestement opératoire: il s'agit d'élaborer une description pertinente pour valider une hypothèse ou tenter une simulation (une "machine à juger" par exemple?).

Se poser la question de la dynamique du droit peut alors servir à décrire les "mouvements" et les échanges internes et externes de tout système juridique, entre les trois pouvoirs par exemple, ou avec le système politique, le système économique ou avec la société dans son ensemble. Mais elle peut avoir aussi pour objectif de proposer la représentation d'un phénomène évolutif qui rendrait compte de l'auto-organisation du système (juridique.)... C'est cette adéquation - voire la pertinence de la question elle-même - qui est au centre de nos intérêts.

L'objectif de ce travail est donc de montrer comment la modélisation des connaissances juridiques peut être repensée à la lumière de la théorie de la dynamique des systèmes instables et du chaos, en s'appuyant sur les modèles connexionnistes.

Je commencerai par décrire une expérience menée il y a quelques années avec Paul BourgineBourgine dans laquelle un réseau de neurones avait été utilisé pour "apprendre la connaissance du juge" et classer les règles décisionnelles sur lesquelles étaient fondées des arrêts du Conseil d'Etat.

Cependant, et c'était tout le sens du projet de travail que nous avions commencé à élaborer avec Gérard Clergue, d'autres modèles connexionnistes pouvaient approfondir nos hypothèses sur les différentes formes d'auto-organisation du droit. Dès lors, on ne s'est plus proposeé d'observer ex post comment des règles décisionnelles ont émergé d'un réseau mais de "visualiser les accidents de forme" d'une argumentation qui va provoquer sur plusieurs années un revirement de jurisprudence par une cour.

La catégorisation, opération cognitive et argumentative fondamentale en droit, n'est plus alors une question à laquelle on répond par oui ou par non. Elle peut être vue et même visualisée comme un processus de convergence vers un état stable après que le système est sorti de la zone d'indécision comprise entre deux attracteurs, c'est-à-dire entre les deux concepts, objets de l'argumentation litigieuse devant la cour.

La formation d'une pensée collective à laquelle peut être assimilée la jurisprudence pourrait, dans ce cas, être appréhendée comme un système dynamique: chaque état de la jurisprudence dépend des états antérieurs et les éléménts subcognitifs que sont les éléments pragmatiques du discours interagissent entre eux pour générer des formes complexes et émergentes que sont les catégories juridiques.

Ce projet est désormais ouvert pour que la question ne reste pas sans réponse.


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Rencontres MCX 6 - Poitiers, Futuroscope, 9 et 10 Juin 1997


Dynamiques non linéaires dans les comportements humains
9.2
Dilemme itéré du prisonnier : émergence de la coopération.

M. CLERGUE Ingénieur doctorant informatique

B

Lundi 9 Juin, 16h15-18h


Le Dilemme Itéré du Prisonnier

Le Dilemme Itéré du Prisonnier est un jeu inventé dans les années cinquante par FLOOD et DRESHER. Il a été popularisé par AXELROD qui organisa un tournoi où furent confrontées plusieurs stratégies proposées par des spécialistes de la théorie des jeux, mais aussi par des informaticiens, des biologistes et des physiciens. À sa surprise, ce fut la plus simple des stratégies qui l'emporta, la stratégie donnant-donnant proposée par RAPOPORT.

Ce jeu, par la simplicité des règles qui le régissent, par la complexité des comportements observés et par sa célébrité rappelle le Jeu de la Vie de CONWAY.

Principe du Jeu

Dans la version la plus simple du Dilemme Itéré du Prisonnier, deux joueurs sont en présence. Ils ont chacun le choix entre coopérer ou trahir. Si les deux joueurs coopèrent, ils obtiennent chacun 3 points. Si un joueur coopère et l'autre trahit, ce dernier obtient 5 points et le joueur coopérant récolte 0 point, Par contre, si les deux joueurs trahissent, ils obtiennent chacun 1 point. Il y a dilemme, car si les deux joueurs analysent la situation individuellement, ils ont intérêt à trahir. Mais si ils trahissent tous les deux, ils n'obtiennent que 1 point chacun, ce qui est moins bon que si ils avaient coopéré tous les deux.

Les Simulations Écologiques

Imaginons maintenant une population de stratégies. Chaque stratégie est en compétition avec les autres pour assurer sa représentation dans la population. À chaque génération, un tournoi est organisé entre les stratégies présentes. En fonction des scores obtenus à ce tournoi, et des proportions des stratégies dans la population, de nouvelles proportions sont calculées pour obtenir la population à la génération suivante.

Si il n'y a que deux stratégies en présence, celle qui consiste à toujours coopérer et celle qui consiste à toujours trahir, la stratégie déloyale finit par s'imposer dans la population et éliminer la stratégie altruiste. Cette trahison généralisée ne s'instaure pas quand les stratégies se basent sur les coups précédents pour prendre leurs décisions. Dans ce cas, chacun peut hésiter à trahir, car il pourrait inciter son adversaire à trahir au coup suivant, minimisant ainsi le score des deux stratégies, et donc leurs proportions respectives à la génération suivante. Si par contre, deux stratégies, et a fortiori une stratégie contre elle-même, arrivent à établir un accord tacite de coopération, elles maximisent leurs scores, et donc leurs proportions respectives dans la population suivante, augmentant ainsi les probabilités de se rencontrer à nouveau. Il y a émergence de la coopération.

Le Dilemme Itéré du Prisonnier : Un Système Dynamique Non Linéaire

Les simulations écologiques décrites plus haut constituent un système dynamique où l'état de la population à un temps donné dépend de l'état de la population à l'instant précèdent. On est en présence d'une évolution dans le temps. C'est un système non linéaire, car les relations qui permettent le passage d'une génération à l'autre sont non linéaires. Comme pour tous les systèmes dynamiques non linéaires, des comportements de convergence ou cycliques sont observés. DELAHAYE et MATHIEU, notent même une sensibilité aux conditions initiales, ce qui est un signe du chaos déterministe.

C'est ce caractère qui est particulièrement intéressant. Il permet de donner un éclairage différent sur tous les jeux et algorithmes basés sur des interprétations la théorie des espèces. Deux points sont à noter. Premièrement, la valeur d'adaptation d'un individu, qui détermine, dans ces modèles très simplifiés, sa capacité de reproduction, dépend fortement de la composition de la population. Cela change le point de vue classique individualiste, pour considérer que c'est la population dans sa globalité qui évolue. Deuxièmement, dans ces systèmes où les individus sont en forte interaction les uns avec les autres, des dynamiques complexes, voire chaotiques, peuvent émerger, rendant impossible toutes prévisions. Les outils de la théorie des systèmes dynamiques non linéaires peuvent permettre dans ce contexte une analyse de tels systèmes.


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Rencontres MCX 6 - Poitiers, Futuroscope, 9 et 10 Juin 1997


Dynamiques non linéaires dans les comportements humains
Dynamiques non linéaires : interrogations

R. DELORME CEPREMAP, CNRS, Paris

9.2

B

Lundi 9 Juin, 16h15-18h


Un système dont la dynamique est non linéaire peut donner naissance, dans certaines conditions, à une évolution apparemment désordonnée et imprévisible sans qu'aucune force aléatoire n'agisse. Ce chaos déterministe est au coeur de l'attention portée aux dynamiques non linéaires aujourd'hui. Si l'on a pu soutenir que ce changement marque le passage selon, "d'un point de vue unique à une multiplicité de points de vue légitimes sur le monde" (Tito Arecchi, Le Monde, 11 octobre 1989), il s'accompagne aussi de risques de dérive et de confusion nouvelle dans ses applications à l'extérieur des mathématiques et de la physique. Tel est du moins l'avertissement qui nous vient des mathématiques elles-mêmes. La question essentielle du passage d'une modélisation syntaxique, mathématique ici, à une modélisation du réel semble demeurer entièrement ouverte, spécialement en sciences sociales et humaines.

"La théorie du chaos est, comme la géométrie euclidienne ou la théorie des nombres, un ensemble de résultats mathématiques qui a sa vie propre, indépendante du fait qu'elle s'applique ou non à des phénomènes observés" (Ivar Ekeland Le chaos Flammarion 1995 p.92) ; elle n'est pas une théorie scientifique (ibid, p.85). Il a fallu attendre le XXè siècle pour comprendre que les modèles non linéaires ont des propriétés fondamentalement différentes des modèles linéaires (Poincaré). La révolution informatique qui permet enfin de calculer les solutions d'équations non linéaires et de les représenter graphiquement donne substance à un espace intermédiaire qu'elle a fait découvrir (ou permis d'inventer ?) entre le modèle mathématique et la réalité physique : cet espace est celui du calcul (Ekeland, p.105). A l'aune de la pratique scientifique conséquente, le respect des conditions de la compréhension quantitative de la dynamique d'un système, elle-même nécessaire à l'étude quantitative du chaos dans ce système, semble être encore problématique notamment en sciences sociales : connaissance des équations d'évolution temporelle, disponibilité de séries temporelles longues et précises, dynamique "simple", excluant le changement des équations par effet d'apprentissage au cours du temps figurent au premier rang de ces conditions (David Ruelle Hasard et chaos, Seuil, 1991, p.104-105).

Comment, après avoir pris conscience de l'illusion du linéaire, échapper à la tentation de la transposition directe d'une notion aussi suggestive, du plan épistémique de la modélisation au plan ontologique, c'est-à-dire à l'illusion possible du non linéaire ?


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Rencontres MCX 6 - Poitiers, Futuroscope, 9 et 10 Juin 1997
Dynamiques non linéaires dans les comportements humains
9.2
Légitimité, pertinence du transfert des concepts de non-linéarité des sciences exactes vers les sciences humaines

P. LESTAGE Université Bordeaux 2

B

Lundi 9 Juin, 16h15-18h


Les modèles d'intelligibilité d'un monde stable et ordonné sont battus en brèche par les développements récents des sciences contemporaines. Bien des régularités apparentes des systèmes naturels apparaissent aujourd'hui comme des états complexes de stabilité émergeant de dynamiques non linéaires, auto-organisatrices ou chaotiques. Par non-linéarité, on entend que de petites, voire d'infimes variations sont susceptibles d'engendrer des effets très importants dans l'évolution d'un système ("sensibilité aux conditions initiales" disait POINCARÉ, "effet papillon" pour LORENZ). Thermodynamique du non linéaire (PRIGOGINE), théorie des catastrophes (THOM), géométrie fractale (MANDELBROT), chaos déterministe et attracteurs étranges, connexionnisme et réseaux de neurones formels. Autant de nouveaux horizons de complexité dont l'importance ne cesse de s'étendre. Généralement ces théories de la complexité concernent les systèmes naturels et relèvent des sciences exactes. Peut-on alors les utiliser pour accroître notre compréhension des systèmes humains ? Donnons quelques exemples. Les organisations biologiques, depuis les organismes jusqu'aux écosystèmes, ne sont-elles pas des auto-organisations loin de l'équilibre, non linéaires ? Notre pensée, hautement non linéaire, ne naîtrait-elle pas d'une certaine manière du hasard ou du chaos ? Les dynamiques commerciales ou boursières ne seraient-elles pas, elles aussi, souvent non linéaires ?

La tentation est donc grande de répondre aux difficultés que pose la complexité dans les sciences humaines en faisant appel à des modélisations de la complexité réalisées avec succès dans les sciences exactes. Ainsi RenéRené THOM n'a-t-il pas hésité à appliquer sa théorie mathématique à la biologie, la psychologie et les sciences sociales.

Mais de quelle complexité parle-t-on ? La classification hiérarchique allant de la simplicité des sciences exactes à la complexité des sciences humaines a été complètement remise en question par la découverte du comportement complexe de systèmes naturels pourtant simples. Par exemple, la simplicité apparente du pendule ou des systèmes planétaires n'apparaît être qu'un cas particulier dans des univers de comportements complexes non linéaires (comportement chaotique du pendule, instabilité des systèmes célestes à trois corps). A l'opposé, l'apparente complexité des systèmes humains et sociaux peut parfois masquer des dynamiques simples. Dans le cas habituel où cette complexité est en revanche réelle, elle peut correspondre à des enchevêtrements hautement hiérarchisés de niveaux d'organisation, à l'intersection aléatoire de causalités différentes, ou encore à des comportements non linéaires semblables à ceux rencontrés dans les sciences exactes (chaos déterministe notamment).

Dans les sciences humaines émerge une dimension complètement étrangère aux sciences exactes, celle du sujet. Peut-on alors se contenter d'interprétations causales pour rendre compte de la complexité d'un système humain tel que, par exemple, le cerveau ? Est-il fondé de réduire l'explication des auto-organisations mentales aux seules causes efficientes, objectives de l'organisation biologique, même si celles-ci sont rétroactives, bouclées, non linéaires ? La dynamique de la pensée n'est-elle pas corrélative d'une finalité intentionnelle du sujet, d'une téléologie qui lui serait propre ? Dans cette optique, le transfert des concepts de non-linéarité des sciences exactes vers les sciences humaines conserve-t-il sa légitimité, sa pertinence ?

La thermodynamique non linéaire de PRIGOGINE réalise la prouesse d'une jonction entre l'organisation de la matière inerte, physique et celle de la matière vivante, biologique jusqu'à celle du cerveau. Nombre de théories cognitives s'appuient sur des fondements biologiques (PIAGET, les sciences cognitives). PRIGOGINE, lui, aboutit au biologique en partant du physico-chimique. On peut ainsi suivre le fil de la non-linéarité, du monde physique au monde biologique jusqu'à celui de la cognition. Ce fut l'objet de notre thèse de doctorat sur PIAGET et PRIGOGINE. C'est l'exemple que nous avancerons ici.


97
Rencontres MCX 6 - Poitiers, Futuroscope, 9 et 10 Juin 1997


Dynamiques non linéaires dans les comportements humains
La décision, moment de l'activité humaine....

M. LINARD Université de Paris X

9.2

B

Lundi 9 Juin, 16h15-18h


Qu'est-ce que décider en situation complexe? C'est choisir une alternative d'action (faire) en fonction d'un but et de savoirs acquis sans être certain de la pertinence ni de l'alternative ni des savoirs. Plus la complexité croît, plus les "conditions" de la décision (nature du problème, contexte, situation) ainsi que les dimensions psychologiques du décideur (tolérance à échec et incertitude) pèsent dans les choix cognitifs et le calcul logique. Vues larges et synthèses globales, condensation de routines en répertoires de stratégies alternatives, prise de risque, exploration par erreur et approximation, réflexivité critique avec remaniement permanent des buts et savoirs acquis : tous ces méta-processus psycho-cognitifs impliquent autant l'engagement affectif et identitaire du décideur que son calcul rationnel.

En raison de sa puissance de formalisation et de calcul logique, l'informatique semble un bon outil pour assister la prise de décision complexe. Mais si on définit la décision comme phase d'une interaction dialectique sujet/objet et faire/savoir, engagée par "quelqu'un pour quelque chose", et la complexité comme interaction non-linéaire, dynamique et située, on se trouve à l'opposé de la logique de l'outil.

L'informatique classique, en effet, dérive directement de la logique propositionnelle, qui est une logique d'objets. Elle a fondé sa puissance formelle sur l'ignorance des conditions empiriques de réalisation (sujet, temps, espace, société et signification) du savoir et du faire humains. Avec le concept d' "information", la distinction existentielle entre sujet et objet, entre action (faire) et connaissance (savoir) est neutralisée. Le sujet disparaît comme instance intermédiaire de décision : il n'est plus qu'une structure d'états et de propriétés formels pilotés par la seule logique fins-moyens de la tâche. De même l'action en tant qu'unité significative de transformation intentionnelle du monde se réduit-elle à l'algorithme des seules opérations rationnnelles requises par la tâche.

L'évolution des techniques et du marché grand public a révélé l'incapacité du paradigme classique (linéarité, clôture, non-adaptation) à rendre compte de l'activité ordinaire. On a donc cherché d'autres paradigmes permettant des conceptions plus réalistes du "sens commun" des "utilisateurs": '"acteurs" incarnés et situés, intentionnels et motivés et non pas purs calculateurs ou "agents" rationnnels idéaux.

Les modèlisations informatiques actuelles sont plus ouvertes et dynamiques mais elles sont toujours fermées aux relations entre sujet et objets, faire et savoir. Elles évoluent sur deux niveaux séparés :

- le niveau subsymbolique des micro-processus automatiques élémentaires qui permettent l'émergence, dans les systèmes auto-organisateurs, de microstructures stables d'ordre interne à partir des stimuli externes. Les modèles sont issus de la neurophysiologie, de la physique, des mathématiques (réseaux neuronaux, dynamique des systèmes, algorithmes génétiques, modèles chaotiques,).

- le niveau symbolique des macro-processus cognitifs. Les modèles (langages-objets, systèmes multi-agents), visent à décrire des conduites fonctionnelles significatives et impliquent une théorie souvent implicite de l'action et/ou de l'intention. Ils s'inspirent des sciences humaines (philosophie de l'esprit, psychologie développementale, ethnologie, sociologie, linguistique pragmatique, sémiotique narrative).

Notre hypothèse est que les diverses théories de l'action humaine intentionnelle (niveau symbolique) peuvent apporter au niveau subsymbolique les macrostructures dynamiques horizontales (de liaison) et verticales (de catégorisation hiérachique) et l'autofinalisation motivée qui leur manquent. De même, les microréseaux subsymboliques peuvent-ils fournir au niveau symbolique les bases dynamiques de genèse automatique des formes élémentaires (schèmes) sur lesquelles il se construit. Mais seule l'articulation étroite des deux niveaux permettra de modèliser la complexité de la décision humaine en tant que moment-clé de l'activité et interaction significative entre sujet et objet, faire et savoir.

(Références et textes autour de cette problématique disponibles auprès de l'auteur)


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Rencontres MCX 6 - Poitiers, Futuroscope, 9 et 10 Juin 1997

Dynamiques non linéaires dans les comportements humains
9.2
Dynamique des systèmes non linéaires, écologie cognitive et construction des représentations.

P. VIDAL Université d'Aix-Marseille 3, GRASCE, CNRS

B

Lundi 9 Juin, 16h15-18h


Décider en situation complexe constitue certainement le défi majeur des gestionnaires. Pour y faire face, de nombreux outils formels ont été développés afin de créer des zones de certitudes au sein desquelles il est possible de décider et gérer, créant ainsi " l'illusion de la gestion ".

Les systèmes non linéaires qui ont fait l'objet d'une attention considérable dans les sciences physiques, suscitent aujourd'hui de plus en plus d'intérêt en sciences économiques et en sciences de gestion.

Certaines de leurs propriétés  : sensibilités aux conditions initiales, attracteurs étranges, irréversibilité, processus de bifurcation, … semblent en effet pouvoir fournir des perspectives nouvelles sur la représentation du fonctionnement des organisations.

Si les "vertus métaphoriques" des concepts liés aux systèmes dynamiques non linéaires semblent indéniables, on est cependant en droit de s'interroger sur la pertinence et la légitimité du transfert des concepts associés aux systèmes dynamiques non linéaires (auto-organisation, chaos déterministes, entropie, ordre et désordre, instabilité, sensibilité aux conditions initiales, émergence, complexité, etc.) des sciences dites "exactes" vers les sciences humaines, et plus particulièrement vers les sciences de gestion ?

Par ailleurs, l'utilisation de nouvelles méthodes/concepts/théories/outils ne doit certainement pas être réalisée dans le but de trouver LE bon modèle si tant est (hypothèse déterministe) qu'un tel modèle existe, mais plutôt, comme l'a précisé Jean-Louis Le MoigneLe Moigne, d'aider à la construction de modèles susceptibles de rendre intelligible des phénomènes perçus complexes, et d'amplifier le raisonnement de l'acteur projetant une intervention délibérée au sein de ces phénomènes.



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Rencontres MCX 6 - Poitiers, Futuroscope, 9 et 10 Juin 1997


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