En dépit de multiples efforts, je regrette beaucoup de ne pas être avec vous pour votre rencontre. Mais mon absence a un aspect positif : elle assied lautonomie de votre démarche.
Désormais, le message du " défi de la complexité " a essaimé, et notamment en Amérique latine. Si jen ai été linitiateur, il méchappe. Chacun linterprète à sa façon. Certes, je propose une méthode, mais il y a de multiples voies pour traiter la complexité : elles peuvent certes et je le souhaite, intégrer mes propositions, mais elles peuvent, elles doivent se développer en " cent fleuves ". La prise de conscience du problème de la complexité, en tant que telle, est tout récente. Mais il y a eu, de fait, des pensées complexes depuis des siècles en Chine, en Inde, en Méditerranée, en Europe. Chaque grand penseur a fait une découverte de complexité. Et la littérature nous montre de merveilleux exemples de descriptions complexes. Pensons à Marcel Proust, et prenez ce passage complexe, parmi tant dautres, mais qui nous concerne :
" Les écrivains que nous admirons ne peuvent pas nous servir de guide, puisque nous possédons en nous comme laiguille aimantée ou le pigeon voyageur, le sens de notre orientation. Mais, tandis que guidés par cet instinct intérieur, nous volons de lavant et suivons notre voie, par moment, quand nous jetons les yeux à droite et à gauche sur luvre nouvelle de Francis Jammes ou de Maeterlinck, sur une page que nous ne connaissons pas de Joubert ou dEmerson, les réminiscences anticipées que nous y trouvons de la même idée, de la même sensation ... que nous exprimons en ce moment, nous font plaisir comme daimables poteaux indicateurs qui nous montrent que nous ne nous sommes pas trompés ... : nous nous sentons confirmés dans notre route par le passage tout prêt de nous à tire dailes de ramiers fraternels qui ne nous ont pas vus ".
Voilà ce que jaimerai être " un aimable poteau indicateur " qui vous montre que vous êtes sur la bonne route. Je lai dit tardivement au Congrès de Rio en septembre 1998 : cest une erreur de parler de la pensée complexe : il y a des pensées complexes. Toutefois, il y a des pensées qui peuvent perdre la complexité, soit dans une formalisation qui élimine la subjectivité humaine, soit par un syncrétisme " new age " qui en dépit des vertus de ses ouvertures, mélange des concepts de diverses origines sans les organiser.
De plus, toute pensée fondatrice court le risque de sa dégradation, par réduction, dissociation, incompréhension. Regarder ce qui est arrivé à la pensée de Marx ou à celle de Freud. Toute pensée doit se régénérer sans cesse , sinon elle se sclérose, elle perd la vie. Or, il n est de pensée vivante quà la température de sa destruction. Que de risques, Chers Amis, que de risques ! Mais comme disait Platon de limmortalité de lâme " Cest un beau risque à courir "