ATELIER MCX

 

 

 

COMPTE RENDU DE LA JOURNEE DE TRAVAIL

DU LUNDI 19 AVRIL 1999

A L’INSTITUT REGIONAL DU TRAVAIL SOCIAL AQUITAIN A TALENCE

 

 

 

"L’homme et son environnement : de quelques aspects cliniques et systémiques"

 

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Pierre PEYRE, enseignant chercheur à l’Université de Pau, accueille les participants, remercie M. KLEIN, Directeur de l’IRTS pour son accueil ainsi que M. BROUSTET pour sa participation active à l’organisation de cette journée.

Il souligne l’ importance des communications et des débats qui vont avoir lieu et précise que

le groupe de personnes et de personnalités pluridisciplinaires présentes sont là pour "travailler à bien penser" selon le principe de Pascal, pour lequel "L’homme n’est qu’un roseau, le plus fragile de tous les roseaux mais un roseau pensant".

 

Michel LAFORCADE, directeur adjoint à la D.R.A.S.S. Aquitaine, souhaite la bienvenue à tous et remercie tous les participants de leur présence.

Il explique le travail accompli jusque là pour les nouveaux participants. Il insiste sur la composition du groupe présent ce jour autour de la complexité, groupe qui réunit professionnels et universitaires et souhaite que ce mélange puisse perdurer, type même de mélange qui peut être productif, ceci sans aucune exclusive et sans jamais imaginer que les professionnels soient incapables de réfléchir et que les théoriciens soient incapables d’avoir les pieds sur terre .

IL observe que le hasard a voulu que ce groupe se trouve maintenant situé en Aquitaine mais qu’à l’origine c’est un groupe thématique sur les questions sanitaires et sociales regroupant plusieurs participants venant de toute la France et les en remercie.

M. Pierre PEYRE ajoute que le travail mis en place par Michel CUCCHI, qui a été à l’origine de la création de ce groupe, se poursuit .Il rappelle que c’est un travail de groupe qui reste ouvert aux anciens participants.

TOUR DE TABLE :

 

Pierre PEYRE : "après une carrière hospitalière, je suis devenu enseignant chercheur à l’Université et ma proximité avec Jean Louis LEMOIGNE et Georges LHERBET fait que je me suis retrouvé chargé de ce groupe dans lequel j’ai entraîné Michel LAFORCADE qui est un de nos fidèles enseignants à l’Université de Pau en licence et maîtrises de sciences sanitaires et sociales"

Michel LAFORCADE, Directeur-adjoint à la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales d’ Aquitaine

Albert KLEIN :" je dirige L’IRTS qui est un établissement ayant pour mission de qualifier les travailleurs sociaux à la base, de les accompagner tout au long de leur carrière, nous les formons à la responsabilité, nous avons d’autres missions : animation et recherche."

Yannick LOMBES, Directeur d’une EPSR consultant en Ressources Humaines et formateur

Malika GASC, Secrétaire de Michel LAFORCADE à la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales d’Aquitaine

Emmanuel NUNEZ, Professeur de biochimie à la Faculté de Médecine "Xavier Bichat" et médecin biologiste à l’hôpital Xavier Bichat

Patrice BROUSTET, Educateur spécialisé, consultant

Denise VENTELOU, Formatrice à L’IRTS de Talence, après une expérience dans plusieurs pays étrangers

Pierrette LHEZ, Directrice de l’institut de formation des cadres de la santé Charles Perrens

Marie José CARLACH, Inspecteur à la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales d’Aquitaine

Bertrice LOULIERE, Pharmacien Inspecteur de Santé Publique à la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales au sein du service santé publique dirigé par Michel LAFORCADE travaille en interdisciplinarité dans ce service qui comprend des ingénieurs, des médecins, des pharmaciens inspecteurs de santé publique, de manière transversale

Patrick ROTHKEGEL, Directeur Général de L’ADAPEI des Pyrénées Atlantiques

Jean Claude MAUPAS: "Directeur de l’institut de psychomotricité de Pau, centre de formation continue, je suis chargé de cours à l’Université de Pau aussi bien dans le service Formation continue dont le directeur M. LAROCHE est ici et dans le département sanitaire et social dont le directeur est M. PEYRE . Je suis ici au titre de l’éducation pour la santé, je suis président animateur du CODES des Pyrénées Atlantiques".

Joseph PINOS, Infirmier général, Directeur du S.S.I. au Centre hospitalier de Pau

Véronique GROSELIER, Docteur en médecine à l’Université de Paris

Eric GALLIBOUR, Sociologue au laboratoire de la santé

Jean François GOMEZ : "Directeur d’un établissement pour adultes handicapés à Montpellier je participe à plusieurs activités de recherche avec mon ami Pierre PEYRE. Mes recherches les plus récentes portent sur l’anthropologie de l’éducation spécialisée"

Françoise BIDAUD-BERNARD, Infirmière psychiatrique à l’hôpital de La Rochelle, Chercheur en sciences de l’éducation

Philippe DUCALET : " Responsable de formation à l’Institut Régional du Travail Social où j’ai particulièrement en charge la formation des cadres"

Geneviève COUTANCAIS : " Infirmière générale au Centre Hospitalier de La Roche sur Yon

J’ai eu l’occasion de rencontreR M. LE MOIGNE ce qui nous a ouvert les portes de ce groupe"

Françoise RATHIER, Sociologue au Bureau d’études et de recherches sociologiques (BERS)

Christian CAVALIERE: "Educateur de formation, je dirige un établissement d’accueil spécialisé auparavant je dirigeais une maison d’enfants à caractère social"

Pierre BRICAGE: "Enseignant Chercheur, Biologiste à l’Université de Pau, je fais des recherches en chronobiologie notamment et enseigne en licence et maîtrise de sciences sanitaires et sociales"

Daniel LAROCHE : "Enseignant à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, je suis spécialiste des insectes sociaux et je suis également directeur du service de la formation continue"

Edmond DECHELOTTE, Médecin hospitalier retraité, membre du groupe de réflexion transdisciplinaire palois et spécialement animateur d’un groupe 3ème âge et société

 

 

 

EXCUSES :

- Christophe GAUTIER, directeur du centre hospitalier d’Orthez

- Bernard DUPERREIN, enseignant à l’Université de Pau et qui fait partie du groupe de réflexion de transdiciplinarité avec M. DECHELOTTE

- Christian LAINE qui est à la fois directeur de Béarn Toxicomanies et directeur général d’un groupe associatif qui a réalisé un GIP "réseau information et gestion"

- Francine BELLANGER, directrice de l’institut de formation des cadres de la santé du centre hospitalier François Mitterand de Pau

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La parole est donnée à M. Emmanuel NUNEZ :

"J’ai le plaisir de vous présenter quelques réflexions, que le roseau que je ne suis pas, va essayer de rendre le plus animé possible car je ne voudrais pas qu’en tant que professeur on puisse penser que je vis uniquement dans les concepts.

En fin de compte je vais vous expliquer chemin faisant, parce que c’est le mot qui est très intéressant qui a été développé par Jean Louis LEMOIGNE et son groupe, chemin faisant je vous montrerai comment, à partir d’une pratique quotidienne, j’en suis arrivé à ces conceptions sur les stratégies de réponse des systèmes humains au changement et à l’agression.

Quand je dis "système humain", je pense, vous le verrez au cours de cet exposé, que tout ce que l’homme contient, son "biologique", son "psycho-cognitif" et son "social" forment un réseau en harmonie .Tout de suite, j’ouvre très largement le panorama afin que vous voyiez que l’on a une approche holistique. Vous verrez comment j’arrive à partir du modèle "agression" en anglais "stress", mot tellement galvaudé que je préfère souvent utiliser le mot agression, on en arrive à mieux comprendre ce réseau qui existe entre nous, la société, tout le monde qui nous entoure, qu’il soit minéral ou vivant"

(Ci-joint le texte et les schémas relatifs à l’intervention de M. NUNEZ - Annexe I)

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Pierrre PEYRE :

"Quels sont les grands axes de questionnement que l’on pourrait retenir de cet exposé où il y aurait tant de choses à dire car à un moment donné nous sommes partis des ions, atomes, molécules etc... on est allé jusqu’à Dieu en passant par l’entreprise, tout un programme, mais qui n’est pas forcément codifié de façon rationnaliste et cartésienne qui font que du positivisme au constructivisme je voyais là dessous un peu la théorie de l’écologie des liens de Jacques Miremont justement où les 3 opérateurs qui structurent la perception, l’observation et l’action, ce sont les rituels, les mythes et les épistémés. et qui font que justement le travail sur le savoir

ne peut pas être une fin en soi s’il n’est pas porteur de sens et dans votre exposé vous avez fait un cours de physiologie, neuroendocrinologie etc... tout ça était très dense, tout ce que vous nous avez dit ne souffre pas l’approximation .

Je propose maintenant que les questions fusent !"

QUESTION : Pourquoi préférez vous les termes de suppracession et rétrocession aux termes de progression et régression ?

REPONSE : Pour moi une rétrocession est réversible, alors que je n’aime pas les choses qui régressent C’est surtout que je réagis personnellement assez fortement au mot régression parce que si vous voulez. Je n’en fais pas une question de principe, je suis tout à fait d’accord qu’on pour trouver d’autres mots, il y a une question affective chez moi sans doute.

Pierre PEYRE : IL nous faudrait le secours de PIAGET sur tous les principes de réversibilité ce serait intéressant dans l’histoire même de ce rapport entre le langage organique et le langage symbolique.

QUESTION : Je n’ai pas bien compris l’extracession par rapport à la suppracession, pouvez vous reprendre l’explication ?

REPONSE : C’est que nous rendons hétéroréférentiel quelque chose qui était plutôt autoréférentiel, qu’on a du mal à appréhender, on n’a jamais mieux compris le fonctionnement du système nerveux grâce aux bio sciences et grâce à l’informatique (on sait très bien que l’informatique ne construit pas tout le psycho cognitif de l’homme ce n’est pas une intelligence artificielle, on n’y arrivera vraisemblablement peut être jamais car je ne peux pas dire jamais, ça va être très difficile) mais en tout cas le fait de voir fonctionner les ordinateurs nous permet de mieux comprendre notre comportement à nous,

QUESTION : Vous avez rapproché la main de Dieu de la suppracession or on pourrait considérer que cela fait partie de la production d’objets, de la construction, est-ce que la suppracession ne serait pas les prémices à l’extracession ?

REPONSE :Exactement, dans le schéma que j’ai montré, c’est la suppracession et la rétrocession qui se retrouvent et qui créent l’artéfact. L’exemple le plus classique, une prothèse

qui est la projection à l’extérieur du corps de l’homme est un objet artificiel qui correspond à un objet réel et cela se fait grâce à une extracession, l’homme projette une idée, l’imagine et la réalise à l’image proche de son idée

Pierre PEYRE - "C’est le principe de réversabilité, on peut changer une jambe en chair et en os avec une jambe en acier mais on ne peut pas justement faire l’inverse et rendre réversible"

E. NUNEZ : Mon topo est un point de départ de beaucoup de travail en commun. Il existe le terme de rétrogression qui correspond justement à un retour à un état moins différencié qui permet à nouveau une spécialisation nouvelle pour remettre en place un système.

QUESTION : Il est peut être trop rassurant car vous situez l’agression à l’extérieur de l’individu, or une des grandes affaires de l’existence humaine c’est qu’on a des sources internes d’agression.

REPONSE :Je suis tout à fait d’accord, dans mon texte j’ai évoqué l’exogène et l’endogène :

pour le pathologiste que je suis en tant que médecin, il est évident que nous avons des agressions internes

QUESTION :Mes interrogations portant sur la conduite du changement dans les organisations sanitaires et sociales avec notamment l’émergence de la qualité. Considérons que dans certaines organisations sanitaires et sociales, la qualité puisse être quelquefois un mode d’agression pour certains . Dans votre modèle il y a dans un premier temps la rétrocession et ensuite la suppracession, sous quelles conditions passe t’on de l’un à l’autre, peut on rester à la rétrocession sans jamais passer à la suppracession ?

REPONSE : Exactement, parmi les attendus que j’ai fait, mon travail scientifique, mon enseignement, je suis trés préoccupé par tout ce qui est violence, non seulement dans les banlieux, mais dans les pays où règnent certains idéologies, intégristes, etc..., en d’autres termes je pense que toute rétrocession ou rétrogression doit s’accompagner de suppracession,: par exemple des enfants qui reçoivent des images de violence à la télévision, si ce n’est pas accompagné d’une suppracession, on leur explique ce que c’est que cette violence ou éventuellement on leur fait la morale, on leur explique que ça tue, que la violence n’est pas seulement un objet virtuel , à ce moment là on désarme la violence, ce sont deux notions qui normalement doivent être accompagnées l’une avec l’autre et aboutir à l’action, mais si elles sont empêchées de se marier l’une à l’autre, on rentre dans le processus de violence, le mécanime de violence, c’est à dire empêchement pour un enfant qui passe dans une grande surface, empêchement de réaliser son voeu d’acheter ce produit là, empêcher d’agir, et empêcher de communiquer en même temps

QUESTION : Vous croyez que c’est donner le sens qui permet ce basculement

REPONSE : Oui, absolument

QUESTION : Vous nous avez donné un schéma un contexte , hypothalamus, hypophise , glandes endocrines, schéma classique de la réponse de l’organisme en au stress particulièrement mais c’est très physiologique or ne voyez vous pas quelque part la zone réticulée intervenir à ce niveau là pour traduire autrement que physiologiquement ce changement

REPONSE : Oui, tout à fait c’est là où intervient la suppracession, nous avons à comprendre qu’il y a inter relations entre tous ces éléments neuro endoctriniens c’est très complexe, on pourrait en parler très longuement.

 

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Pierre PEYRE : " La parole est donnée à Mlle GROSELIER qui va nous amener dans les sphères conjointes du travail en général et de la santé mentale en particulier.

Mlle GROSELIER : "Je vais vous parler, plutôt que de dépression et travail, des relations entre santé mentale et travail et des différents angles d’approche. Plus exactement de l’influence du travail sur la santé mentale."

Je ne vais pas aborder les problèmes de réadaptation par le travail, ni les questions de détresse mentale par le travail, ni les questions de l’approche de la santé mentale sur le travail.

Depuis une vingtaine d’années, des études de médecine du travail tendent à démontrer que le travail entraîne des dégâts sur le psychisme.

En effet, On observe de plus en plus les décompositions psychiatriques dont l’origine semble être attribuée à la situation du travail. Au delà des observations, la difficulté tient à démontrer le lien de causalité entre travail et décomposition psychiatrique

Les 3 grandes approches sont un peu en concurrence, il y a l’épidémiologie, les théories sur le stress et la psychodynamique du travail. Elles ne concernent pas les mêmes objets.

Je vais vous parler de la manière dont ces 3 approches essayent d’étudier la question. Je vais commencer par l’épidémiologie qui est l’outil le plus approprié pour la logique du travail.

Il y a deux grands types d’enquêtes : l’enquête descriptive et l’enquête analytique

L’enquête descriptive, c’est comme une photographie instantanée, on regarde une population et puis on essaye de voir qui est malade, de quelle maladie, à quel endroit... c’est une enquête qui va donner ce qu’on appelle la prévalence.

L’enquête analytique, plus difficile à mettre en oeuvre, c’est mettre en relation la pathologie et les facteurs de risques. C’est plus difficile à mettre en oeuvre, il y a deux sortes, l’enquête cas témoin, on prend une population malade et une population saine et on essaie de voir l’exposition aux risques ou pas et l’enquête de cohorte qui consiste à suivre deux populations à longue échéance . Elle étudie l’incidence.

La préparation d’enquêtes est primordiale, il va falloir choisir des indicateurs ce qui est très compliqué, par exemple il faut percevoir la subjectivité du travailleur par rapport à l’éventuelle apparition de troubles psychiques liés aux travail. Pour vous donner une idée des interrogations sur la fiabilité des indicateurs, je vais vous parler du modèle KARASEK, ce modèle a essayé de mesurer deux composantes :d’un côté il détermine les exigences mentales du travail et tout ce qui est demande coûteuse pour l’agent et de l’autre la marge de manoeuvre en fonction de l’organisation du travail, pas en fonction d’une psychologie du travail. Cela va se présenter sous forme de questionnaire.

 

Remarque de l’assistance : Une remarque par rapport à ça, pour avoir accompagné des chefs d’entreprise dans des opérations de réorganisation, on se rend compte que ce que vous proposez comme solution qui est la transformation de l’organisation du travail est en f ait aussi bien le remède et le mal simultanément puisque vous allez résoudre le problème d’un certain nombre de personnes et vous allez provoquer le problème d’un certain nombre d’autres et ça c’est un casse tête chinois car on n’a aucun changement d’organisation qui ne soit pas à la fois générateur de profit pour les uns et de stress pour les autres et ça vous pouvez mettre en place tous les systèmes de concertation, de réunions, on n’ira jamais au niveau de l’individu puisqu’on traite les choses sur plan politique . Une autre remarque par rapport au schéma que vous nous avez présenté, il me fait très trés peur ce schéma car on a l’impression compte tenu des éléments que vous nous avez posés que celui qui est demandeur d’emploi il ne lui reste que l’aliénation mentale puisque la coupure a été faite entre le réel et l’égo et la coupure a été faite entre

Mlle GROSELIER : "Je crois que la situation la pire c’est quand il y a des gens qui observent de l’extérieur une situation de travail et qui décident de la changer avec leurs critères à eux sans se pencher sur les gens qui travaillent. Je pense que le but des enquêtes de psycho dynamique du travail c’est d’aller au coeur des choses avec les gens qui sont les acteurs . C’est évident que c’est compliqué et que c’est pas la solution miracle mais ce qui est le plus catastrophique c’est quand on se dit : tiens, d’en haut, on va travailler sur l’organisation du travail...."

(Vous trouverez le texte de l’intervention de Mlle GROSELIER en ANNEXE II)

Pierre PEYRE : "Sans plus tarder on écoute Michel LAFORCADE qui va nous faire entrer en complexité non pas comme on entre en religion mais comme on entre au "restaurant" pour satisfaire notre faim de connaissances"

Michel LAFORCADE : "Tout simplement nous avons pensé qu’il serait bien que chaque fois que l’on se retrouve que l’un d’entre nous puisse présenter des notes de lecture autour du thème de la complexité afin d’éviter aux autres de faire le travail qu’il a déjà fait, que chacun au hasard de ses lectures, accepte lors de nos rencontres de faire ce travail"

Je voudrais préciser qu’il y a dans le texte que je vous ai distribué aucun travail de ma part si ce n’est le travail d’un moine copiste, ce n’est même pas une note de synthèse, ce n’est même pas un résumé que vous avez, j’aurai une très mauvaise note à une note de synthèse ou à un résumé, c’est uniquement des extraits de cette introduction à la complexité, les extraits qui m’ont parus les plus significatifs en essayant quand même de respecter la logique de la pensée d’Edgard Morin, ce n’est pas un travail d’exégèse ni d’interprétation.

E. Morin - Introduction à la pensée complexe 1990

Avant propos

- La connaissance scientifique fut longtemps et demeure encore souvent conçue comme ayant pour mission de dissiper l’apparente complexité des phénomènes afin de révéler l’ordre simple auquel ils obéissent

 

- il faut dissiper l’illusion selon laquelle la complexité conduit à l’élimination de la simplicité. La complexité apparaît certes là où la pensée simplifiante défaille, mais elle intègre en elle tout ce qui met de l’ordre, de la clarté, de la distinction, de la précision dans la connaissance. Alors que la pensée simplifiante désintègre la complexité du réel, la pensée complexe intègre le plus possible les modes simplifiants de penser, mais refuse les conséquences mutilantes, réductrices, unidimensionnalisantes et finalement aveuglantes d’une simplification qui se prend pour le reflet de ce qu’il y a de réel dans la réalité.

- il faut aussi se garder de confondre complexité et complétude

- la complexité porte en son principe la reconnaissance des liens : Pascal avait justement posé que toutes ces choses sont "causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates et que toutes s’entretiennent par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes".

- mais elle sait au départ que la connaissance complète est impossible : elle fait sienne la parole d’Adorno "la totalité est la non vérité" : elle reconnaît l’inachèvement et l’incomplétude de toute connaissance.

I - L’ Intelligence aveugle

. La prise de conscience

- nous avons acquis des connaissances inouïes sur le monde physique, biologique, psychologique, sociologique. La science fait régner de plus en plus largement des méthodes de vérification empirique et logique. Et pourtant, partout, erreur, ignorance, aveuglement progressent en même temps que nos connaissances.

- une prise de conscience radicale nous est nécessaire

La cause profonde d’erreur n’est pas dans l’erreur de fait (fausse perception) ou l’erreur logique (incohérence) mais dans le mode d’organisation de notre savoir en système d’idées (théories, idéologies).

Il y a une nouvelle ignorance liée au développement de la science elle-même.

ƒ Les plus graves menaces qu’encourt l’humanité sont liées au progrès aveugle et incontrôlé de la connaissance (armes thermonucléaires, manipulations de tous ordres, dérèglement écologique...).

 

l Le problème de l’organisation de la connaissance

n Toute connaissance opère par sélection de données significatives et rejet de données non significatives : elle sépare (distingue ou disjoint) et unit (associe, identifie), hiérarchise (le principal, le secondaire) et centralise (en fonction d’un noyau de notions maîtresses). Ces opérations, qui utilisent la logique, sont en fait commandées par des principes "supralogiques" d’organisation de la pensée ou paradigmes, principes occultes qui gouvernent notre vision des choses et du monde sans que nous en ayons conscience.

- ainsi, au moment incertain du passage de la vision géocentrique (ptolémaique) à la vision héliocentrique (copernicienne) du monde, la première opposition entre les 2 visions résidait dans les principe de sélection/rejet des données : les géocentriques rejetaient comme non significatives les données inexplicables selon leur conception, tandis que les autres se fondaient sur ces données pour concevoir le système héliocentrique

ð le nouveau système comprend les mêmes constituants que l’ancien (les planètes) il utilise souvent les anciens calculs. Mais toute la vision du monde a changé. La simple permutation entre terre et soleil fut beaucoup plus qu’une permutation puisqu’elle fut une transformation du centre (la terre) en élément périphérique et d’un élément périphérique (le soleil) en centre

- prenons maintenant un exemple au coeur même des problèmes anthropo-sociaux de notre siècle : celui du système concentrationnaire (goulag), en Union soviétique. Même reconnu, de facto, le goulag a pu être rejeté à la périphérie du socialisme soviétique, comme phénomène négatif secondaire et temporaire, provoqué essentiellement par l’encerclement capitaliste et les difficultés initiales de la construction du socialisme. A l’opposé, on a pu considérer le goulag comme le noyau central du système, qui révèle son essence totalitaire. On voit donc que, selon les opérations de centration, de hiérarchisation, de disjonction ou d’identification, la vision de L’URSS change totalement.

l La pathologie du savoir, l’intelligence aveugle

n nous vivons sous l’empire des principes de disjonction, de réduction et d’abstraction dont l’ensemble constitue ce que j’appelle le "paradigme de simplification". Descartes a formulé le paradigme maître d’Occident, en disjoignant le sujet pensant (ego cogitans) et la chose étendue (res extensa), c’est à dire philosophie et science, et en posant comme principe de vérité les idées "claires et distinctes" c’est à dire la pensée disjonctive elle-même. Ce paradigme qui contrôle l’aventure de la pensée occidentale depuis le XVIIème siècle a sans doute permis les très grands progrès de la connaissance scientifique et de la réflexion philosophique : ses conséquences nocives ultimes ne commencent à se révéler qu’au XXème siècle

n une telle disjonction, raréfiant les communications entre la connaissance scientifique et la réflexion philosohique, devait finalement priver la science de toute possibilité de se connaître, de se réfléchir et même de se concevoir scientifiquement elle-même. Plus encore, le principe de disjonction a isolé radicalement les uns des autres les 3 grands champs de la connaissance scientifique : la physique, la biologie, la science de l’homme

n une hyperspécialisation devait de plus déchirer et morceler le tissu complexe des réalités et donner à croire que le découpage arbitraire opéré sur le réel était le réel lui-même

n une telle connaissance fondait nécessairement sa rigueur et son opérationnalité sur la mesure et le calcul : mais, de plus en plus, la mathématisation et la formalisation ont désintégré les êtres et les existants pour ne considérer comme seules réalités que les formules et équations gouvernant les entités quantifiées

n ainsi, on arrive à l’intelligence aveugle. L’intelligence aveugle détruit les ensembles et les totalités, elle isole tous ses objets de leur environnement. Elle ne peut concevoir le lien inséparable entre l’observateur et la chose observée. Les réalités clés sont désintégrées. Elles passent entre les fentes qui séparent les disciplines

n tandis que les média produisent la basse crétinisation, l’Université produit la haute crétinisation. La méthodologie dominante produit un obscurantisme accru, puisqu’il n’y a plus d’association entre les éléments disjoints du savoir, plus de possibilité de les engrammer et de les réfléchir

n cet obscurantisme scientifique produit des spécialistes ignares

n malheureusement la vision mutilante et unidimensionnelle se paie cruellement dans les phénomènes humains : la mutilation tranche dans les chairs, verse le

sang, répand la souffrance

n pourtant, le philosophe des sciences, Bachelard, avait découvert que le simple n’existe pas : il n’y a que du simplifié

 

II - LE DESSIN ET LE DESSEIN COMPLEXES

l Le sujet et l’objet

n dès lors, nous arrivons sans doute au point crucial de la physique et de la métaphysique d’Occident, qui, depuis le XVIIème siècle, à la fois les fonde l’une et l’autre et les oppose irréductiblement

n en effet, la science occidentale s’est fondée sur l’élimination positiviste du sujet

à partir de l’idée que les objets, existant indépendamment du sujet, pouvaient être observés et expliqués en tant que tels. L’idée d’un univers de faits objectifs, purgés de tout jugements de valeurs, de toutes déformations subjectives, grâce à la méthode expérimentale et aux procédures de vérification, a permis le développement prodigieux de la science moderne. Certes, comme le définit très bien Jacques Monod, il s’agit là d’un postulat, c’est à dire d’un pari sur la nature du réel et de la connaissance

n dans ce cadre, le sujet est soit le "bruit", c’est à dire la perturbation, la déformation, l’erreur qu’il faut éliminer afin d’atteindre la connaissance objective, soit le miroir, simple reflet de l’univers objectif

n le sujet est renvoyé, comme perturbation ou bruit, précisément parce qu’il est indescriptible selon les critères de l’objectivisme... le sujet devient fantôme de l’univers objectif

n mais chassé de la science, le sujet prend sa revanche dans la morale, la métaphysique, l’idéologie. Idéologiquement, il est le support de l’humanisme, religion de l’homme considéré comme le sujet régnant ou devant régner sur un monde d’objets (à posséder, manipuler, transformer). Moralement, c’est le siège indispensable de toute éthique. Métaphysiquement, c’est la réalité ultime ou première qui renvoie l’objet comme un pôle fantôme ou, au mieux, un lamentable miroir des structures de notre entendement

n roi de l’univers, hôte de l’univers, le sujet se déploie donc dans le royaume non occupé par la science. A l’élimination positiviste du sujet, répond, à l’autre pôle, l’élimination métaphysique de l’objet : le monde objectif se dissout dans le sujet qui le pense

n depuis Descartes (d’un côté l’univers objectif de la res extensa, ouvert à la science, de l’autre le cogito subjectif irrésistible) la dualité de l’objet et du sujet se pose en termes de disjonction, de répulsion, d’annulation réciproque

ð la rencontre entre sujet et objet annule toujours l’un des deux termes : ou bien le sujet devient "bruit", non sens ou bien c’est l’objet, à la limite le monde qui devient "bruit", or ces termes disjonctifs s’annulant mutuellement sont en même temps inséparables. La part de la réalité cachée par l’objet renvoie au sujet, la part de réalité cachée par le sujet renvoie à l’objet. Bien plus encore : il n’y a d’objet que par rapport à un sujet (qui observe, isole, définit, pense) et il n’y a de sujet que par rapport à l’environnement objectif (qui lui permet de se reconnaître, se définir, se penser etc... mais aussi d’exister)

n ainsi apparaît le grand paradoxe : sujet et objet sont indissociables, mais notre mode de pensée exclut l’un par l’autre, nous laissant seulement libres de choisir, selon les moments de la journée, entre le sujet métaphysique et l’objet positiviste

 

III - LE PARADIGME DE COMPLEXITÉ

n l’idéal de la science du XIXème siècle s’affirme dans la vision du monde de Laplace

n les scientifiques, de Descartes à Newton, essayaient de concevoir un univers qui soit comme une machine déterministe parfaite. Mais Newton, comme Descartes, avait besoin de Dieu pour expliquer comment ce monde parfait était produit. Laplace élimine Dieu. Quand Napoléon lui demande "Mais Monsieur de Laplace, que faites vous de Dieu dans votre système ? "Laplace répond "Sire, je n’ai pas besoin de cette hypothèse". Pour Laplace le monde est une machine déterministe véritablement parfaite, qui se suffit à elle-même.

l le paradigme de simplicité

n le paradigme de simplicité est un paradigme qui met de l’ordre dans l’univers, et en chasse le désordre. L’ordre se réduit à une loi, à un principe. La simplicité voit soit l’un, soit le multiple, mais ne peut voir que l’un peut être en même temps multiple. Le principe de simplicité soit sépare ce qui est lié (disjonction) soit unifie ce qui est divers (réduction)

n prenons l’homme pour exemple. L’homme est un être évidemment biologique - c’est en même temps un être évidemment culturel, méta-biologique et qui vit dans un univers de langage, d’idées et de conscience ; Or ces deux réalités la réalité biologique et la réalité culturelle, le paradigme de simplification nous oblige soit à les disjoindre soit à réduire la plus complexe à la moins complexe. On va donc étudier l’homme biologique dans le département de biologie, comme un être anatomique, physiologique, etc... et l’on va étudier l’homme culturel dans les départements des sciences humaines et sociales

lComplexité et complétude

n la complexité est différente de la complétude

n dans un sens, je dirais que l’aspiration à la complexité porte en elle l’aspiration à la complétude, puisqu’on sait que tout est solidaire et que tout est multi-dimensionnel. Mais, dans un autre sens, la conscience de la complexité nous fait comprendre que nous ne pourrons jamais échapper à l’incertitude et que nous ne pourrons jamais avoir un savoir total : "la totalité, c’est la non-vérité"

ð nous sommes condamnés à la pensée incertaine, à une pensée criblée de trous, à une pensée qui n’a aucun fondement absolu de certitude

lraison, rationalité, rationalisation

n l’homme a 2 types de délire. L’un évidemment est très visible, c’est celui de l’incohérence absolue, des onomatopées, des mots prononcés au hasard. L’autre est beaucoup moins visible, c’est le délire de la cohérence absolue ð contre ce 2ème délire, la ressource est dans la rationalité autocritique et le recours à l’expérience

ltrois principes

n il y a 3 principes qui peuvent nous aider à penser la complexité

l le 1er est le principe que j’appelle dialogique. Prenons l’exemple de l’organisation vivante. Elle est née, sans doute, de la rencontre entre 2 entités chimico-physiques, un type stable qui peut se reproduire et dont la stabilité peut porter en elle une mémoire devenant héréditaire : l’ADN, et d’autre part, des acides aminés, qui forment des protéines aux formes multiples, extrêmement instables, qui se dégradent mais se reconstituent sans cesse à partir de messages qui émanent de l’ADN

n ces 2 principes ne sont pas simplement juxtaposés, ils sont nécessaires l’un à l’autre

n ce que j’ai dit, de l’ordre et du désordre peut être conçu en termes dialogiques. L’ordre et le désordre sont deux ennemis : l’un supprime l’autre, mais en même temps, dans certains cas, ils collaborent et produisent de l’organisation et de la complexité. Le principe dialogique nous permet de maintenir la dualité au sein de l’unité. Il associe 2 termes à la fois complémentaires et antagonistes

l le 2ème principe est celui de la récursion organisationnelle. Pour la signification de ce terme, je rappelle le processus du tourbillon. chaque moment du tourbillon est à la fois produit et producteur. Un processus récursif est un processus où les produits et les effets sont en même temps causes et producteurs de ce qui les produit.

n cette idée est valable aussi sociologiquement. La société est produite par les interactions entre individus mais la société, une fois produite, rétroagit sur les individus et les produit. S’il n’y avait pas la société et sa culture, un langage, un savoir acquis, nous ne serions pas des individus humains.

n autrement dit, les individus produisent la société qui produit les individus. Nous sommes à la fois produits et producteurs

n l’idée récursive est donc une idée en rupture avec l’idée linéaire de cause/effet, de produit/producteur, de structure/superstructure, puisque tout ce qui est produit revient sur ce qui le produit dans un cycle lui-même auto-constitutif, auto-organisateur et auto-producteur

l le 3ème principe est le principe hologrammatique. Dans le monde biologique, chaque cellule de notre organisme contient la totalité de l’information génétique de cet organisme. L’idée donc de l’hologramme dépasse, et le réductionnisme qui ne voit que les parties et le holisme qui ne voit que le tout c’est un peu l’idée formulée par Pascal : " Je ne peux pas concevoir le tout sans concevoir les parties et je ne peux pas concevoir les parties sans concevoir le tout"

l vers la complexité

n on peut diagnostiquer, dans l’histoire occidentale, la domination d’un paradigme qu’a formulé Descartes. Descartes a disjoint d’un côté le domaine du sujet réservé à la philosophie, à la méditation intérieure et, d’autre part, le domaine de la chose dans l’étendue, domaine de la connaissance scientifique, de la mesure et de la précision. Descartes a très bien formulé ce principe de disjonction, et cette disjonction a régné dans notre univers. Elle a séparé de plus en plus science et philosophie. Elle a séparé la culture qu’on appelle humaniste, celle de la littérature, de la poésie, des arts et de la culture scientifique. La première culture fondée sur la réflexion ne peut plus s’alimenter aux sources du savoir objectif. La seconde culture, fondée sur la spécialisation du savoir, ne peut se réfléchir si ne penser elle-même

n le paradigme de simplification (disjonction et réduction) domine notre culture aujourd’hui et c’est aujourd’hui que commence la réaction contre son emprise. Mais on ne peut pas sortir, je ne peux pas sortir, je ne prétends pas sortir de ma poche un paradigme de complexité. Un paradigme, s’il doit être formulé par quelqu’un, par Descartes par exemple, est dans le fond le produit de tout un développement culturel, historique, civilisationnel. Le paradigme de complexité viendra de l’ensemble de nouvelles conceptions, de nouvelles visions, de nouvelles découvertes et de nouvelles réflexions qui vont s’accorder et se rejoindre. Nous sommes dans une bataille incertaine et nous ne savons pas encore qui l’emportera.

IV - LA COMPLEXITÉ ET L’ACTION

l l’action est aussi un pari

n on a parfois l’impression que l’action simplifie, car, dans une alternative, on décide, on tranche. L’exemple de l’action qui simplifie tout, c’est le glaive d’Alexandre qui tranche le noeud gordien que personne n’avait su dénouer avec les doigts certes, l’action est une décision, un choix, mais c’est aussi un pari

n or dans la notion de pari il y a la conscience du risque et de l’incertitude. Tout stratège, dans quelque domaine que ce soit, a la conscience du pari et la pensée moderne a compris que nos croyances les plus fondamentales sont l’objet d’un pari. C’est ce que nous avait dit, au XVIIIème siècle, Blaise Pascal, de la foi religieuse. Nous aussi devons être conscients de nos paris philosophiques ou politiques

n le problème de l’action doit aussi nous rendre conscients des dérives et des bifurcations : des situations initiales très voisines peuvent conduire à des écarts irrémédiables. Ainsi quand Martin Luther entreprend son mouvement, il pense être en accord avec l’Eglise et veut simplement réformer les abus commis par la papauté en Allemagne. Puis, à partir du moment où il doit, soit renoncer, soit continuer, il franchit un seuil et de réformateur devient contestataire. Une dérive implacable l’emporte - et c’est ce qui arrive pour toute déviance - et celà aboutit à la déclaration de guerre, aux thèses de Wittenberg (1517)

n le domaine de l’action est très aléatoire, très incertain. Il nous impose une conscience très aigue des aléas, dérives, bifurcations et il nous impose la réflexion sur sa complexité même

l l’action échappe à nos intentions

n ici intervient la notion d’écologie de l’action : Dès qu’un individu entreprend une action, quelle qu’elle soit, celle-ci commence à échapper à ses intentions. Cette action entre dans un univers d’interactions et c’est finalement l’environnement qui s’en saisit dans un sens qui peut devenir contraire à l’intention initiale. Souvent l’action reviendra en boomerang sur notre tête. Celà nous oblige à suivre l’action, à essayer de la corriger - s’il est encore temps - et parfois de la torpiller, comme les responsables de la NASA qui, si une fusée dévie de sa trajectoire, lui envoient une autre fusée pour la faire exploser

n il n’y a pas, d’un côté, un domaine de la complexité qui serait celui de la pensée, de la réflexion, et, de l’autre, le domaine des choses simples qui serait celui de l’action. L’action est le royaume concret et parfois vital de la complexité.

l la machine non triviale

n les êtres humains, la société, l’entreprise sont des machines non triviales : est triviale une machine dont, si vous connaissez tous les inputs, vous connaissez tous les outputs ; vous pouvez en prédire le comportement dès que vous savez tout ce qui entre dans la machine. D’une certaine manière, nous sommes aussi des machines triviales dont on peut très largement prédire les comportements

n en effet, la vie sociale exige que nous nous comportions comme des machines triviales. Bien entendu, nous n’agissons pas comme des purs automates, nous recherchons des moyens non triviaux dès que nous constatons que nous ne pouvons pas arriver à nos fins. L’important, c’est qu’il arrive des moments de crise, des moments de décision, où la machine devient non triviale : elle agit d’une façon que l’on ne peut pas prédire. Tout ce qui concerne le surgissement du nouveau est non trivial et ne peut pas être prédit à l’avance. Ainsi, lorsque les étudiants chinois sont dans la rue par milliers, la Chine devient une machine non triviale... En 1987-89, en Union soviétique, Gorbatech se conduit comme une machine non triviale ! Tout ce qui s’est passé dans l’histoire, notamment à l’occasion de crises, sont des événements non triviaux qui ne peuvent être prédits à l’avance (...) Tout ce qui va arriver d’important dans la politique française ou mondiale relèvera de l’inattendu

n toute crise est un accroissement d’incertitudes. La prédictivité diminue. Les désordres deviennent menaçants. Les antagonistes inhibent les complémentarités, les conflictualités virtuelles s’actualisent. Les régulations défaillent ou se brisent. Il faut abandonner les programmes , il faut inventer des stratégies pour sortir de la crise. Il faut souvent abandonner les solutions qui remédiaient aux anciennes crises et élaborer des solutions nouvelles.

l Se préparer à l’inattendu

n la complexité n’est pas une recette pour connaître l’inattendu. Mais elle nous rend prudents, attentifs, elle ne nous laisse pas nous endormir dans l’apparente mécanique et l’apparente trivialité des déterminismes.Elle nous montre que l’on ne doit pas s’enfermer dans le contemporaneisme, c’est à dire dans la croyance que ce qui se passe maintenant va continuer indéfiniment. On a beau savoir que tout ce qui s’est passé d’important dans l’histoire mondiale ou dans notre vie était totalement inattendu, on continue à agir comme si rien d’inattendu ne devait désormais arriver. Secouer cette paresse d’esprit, c’est une leçon que donne la pensée complexe.

n la pensée "ne refuse pas du tout la clarté, l’ordre, le déterminisme. Elle les sait insuffisants, elle sait qu’on ne peut pas programmer la découverte, la connaissance, ni l’action

n la complexité se situe à un point de départ pour une action plus riche, moins mutilante. Je crois profondément que moins une pensée sera mutilante, moins elle mutilera les humains. Il faut se rappeler les ravages que les visions simplifiantes ont fait, pas seulement dans le monde intellectuel, mais dans la vie. Bien des souffrances que subissent des millions d’êtres résultent des effets de la pensée parcellaire et unidimensionnelle.

IV - LA COMPLEXITÉ ET L’ENTREPRISE

1ère étape de la complexité : nous avons des connaissances simples qui n’aident pas à connaître les propriétés de l’ensemble. Un constat banal qui a des conséquences non banales : la tapisserie est plus que la somme des fils qui la constituent. Un tout est plus que la somme des parties qui la constituent.

2ème étape de la complexité : le fait qu’il y a une tapisserie fait que les qualités de tel ou tel type de fils ne peuvent toutes s’exprimer pleinement. Elles sont inhibées ou virtualisées. Le tout est alors moins que la somme des parties.

3ème étape de la complexité: cela présente des difficultés pour notre entendement et notre structure mentale. Le tout est à la fois plus et moins que la somme des parties

 

l 3 causalités

n une organisation telle que l’entreprise se situe dans un marché. Elle produit des objets ou des services, des choses qui lui deviennent extérieures et entrent dans l’univers de la consommation. Se limiter à une vision hétéro-productrice de l’entreprise serait insuffisant. Car en produisant des choses et des services, l’entreprise, en même temps, s’auto-produit. Celà veut dire qu’elle produit tous les éléments nécessaires à sa propre survie et à sa propre organisation

n la complexité apparaît dans cet énoncé : on produit des choses et l’on s’auto-produit en même temps : le producteur lui même est son propre produit

 

l des rapports complémentaires et antagonistes

n les rapports à l’intérieur d’une organisation, d’une société, d’une entreprise sont complémentaires et antagonistes à la fois. La résistance était collaboratrice puisque c’est grâce à elle que les choses fonctionnaient

n prenons le cas de l’économie soviétique jusqu’en 1990. Elle était régie, en principe, par une planification centrale, laquelle est hyper-rigide, hyper-tatillonne. Le caractère extrêmement strict, programmé et impératif de cette planification, la rend inapplicable. Pourtant elle marche, à travers beaucoup d’incurie, mais seulement parce que l’on triche et se débrouille à tous les niveaux. Par exemple, les directeurs des entreprises se téléphonent entre eux pour échanger des produits, cela veut dire qu’au sommet il y a des ordres rigides : mais en bas il y a une anarchie organisatrice spontanée. Les cas très fréquents d’absentéisme sont en même temps nécessaires parce que les conditions de travail sont telles que les gens ont besoin d’être absents pour trouver un autre petit travail de bricolage qui leur permettra de compléter leur salaire. Cette anarchie spontanée exprime ainsi la résistante et la collaboration de la population au système qui l’opprime

n c’est la résistance à l’intérieur de la machine qui a fait marcher la machine

n le désordre constitue la réponse inévitable, nécessaire, et même souvent féconde, au caractère sclérosé, schématique, abstrait et simplificateur de l’ordre

n un problème historique global est alors posé : comment intégrer dans les entreprises les libertés et désordres qui peuvent apporter l’adaptivité et l’inventivité, mais peuvent aussi apporter la décomposition et la mort

l Il faut des solidarités vécues

n il y a donc une ambiguité de lutte, de résistance, de collaboration, d’antagonisme et de complémentarité nécessaire à la complexité organisationnelle. Se pose alors le problème d’un excès de complexité qui, finalement, est déstructurant. On peut dire grossièrement que plus une organisation est complexe, plus elle tolère du désordre. Cela lui donne une vitalité parce que les individus sont aptes à prendre une initiative pour régler tel ou tel problème sans avoir à passer par la hiérarchie centrale, c’est une façon plus intelligente de répondre à certains défis du monde extérieur. Mais un excès de complexité est finalement destructurant. A la limite, une organisation qui n’aurait que des libertés et très peu d’ordre, se désintègrerait à moins qu’il y ait en complément de cette liberté une solidarité profonde entre ses membres.

 

VI - ÉPISTÉMOLOGIE DE LA COMPLEXITÉ

n l’idée même de complexité comporte en elle l’impossibilité d’unifier, l’impossibilité d’achèvement, une part d’incertitude, une part d’indécidabilité et la reconnaissance du tête à tête final avec l’indicible. Cela ne veut pas dire pour autant que la complexité dont je parle se confond avec le relativisme absolu ou le scepticisme.

n dans mon 2ème volume de la méthode, j’ai dit que la complexité c’est l’union de la simplicité et de la complexité ; c’est l’union des processus de simplification qui sont sélection, hiérarchisation, séparation, réduction, avec les autres contre-processus qui sont la communication, qui sont l’articulation de ce qui est dissocié et historique : et c’est d’échapper à l’alternative entre la pensée réductrice qui ne voit que les éléments et la pensée globaliste qui ne voit que le tout

n pour moi, l’idée fondamentale de la complexité n’est pas que l’essence du monde est complexe et non pas simple. C’est que cette essence est inconcevable.

 

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La communication du Docteur ODIER, Médecin psychiatre à Paris ne nous ayant pas été transmise, nous nous excusons de ne pouvoir la reproduire

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La parole est donnée à M. Jean-Claude MAUPAS :

"Ce n’est pas une révélation que de dire que c’est à M. DUPRE que nous devons d’avoir mis en évidence les troubles psychomoteurs chez l’enfant.

Cette journée se déroulant à Bordeaux me permet de faire un préambule au thème "Du biologique au Social" dans le domaine de la psychomotricité.

En effet, il ne m’est pas possible en ces lieux de ne pas évoquer la mémoire de mon Maître, le Professeur BERGOUIGNAN qui il y a 36 ans, alors que j’exerçais dans son service, connaissant ma formation antérieure en éducation physique et en Kinésithérapie, m’a envoyé me perfectionner à l’Hôpital de la Salpétrière à Paris chez le Professeur Léon MICHAUD.

Conscient de mes doutes, pour ne pas dire de mon désarroi, lorsqu’il me confiait des patients au Centre Abadie à Bordeaux, partagé que j’étais entre des attitudes éducatives ou pédagogiques et d’autres de type rééducatif, il me confiait alors une mission psycho-motrice, voie à ce moment là naissante et partagée elle aussi entre des conceptions biologiques, éducatives et rééducatives mais dans laquelle la psychiatrie s’était investie après la biologie (neuro) et l’éducation physique.

En bon père et en bon guide, il m’incita alors à aller me perfectionner "sur place" à Paris.

Dans sa thèse de doctorat en médecine (en 1981), Michel GERONIMI indiquait qu’avant 1960, il n’y avait pas de formation de type universitaire ou privé et en tous les cas pas de formation unique et que les "gens" se formaient sur le tas.

Ces "gens" là étaient justement :

1) des professeurss en EPS, des kinésithérapeutes et leur formation de base va influer sur le futur enseignement de la psychomotricité qui se voudra à visée rééducative. Enseignement basé au début sur le principe de la correction d’un manque ou d’un défaut par une rééducation ;

2) des personnes issues de formation dans la danse, la relaxation, le yoga et où la notion de plaisir est présente dans leur pratique ;

3) enfin des personnes ayant des formations ou plutôt des techniques créées par des auteurs connus mais restant trop dans un esprit de chapelle telle que "le Bon Départ" de Mme Théa BUGNET, la méthode RAMAIN...

La psychocinétique du Doteur LE BOULCH est, elle, unique mais valorisée essentiellement par son concepteur.

Enfin l’autre courant était représenté par un mouvement de type éducation pur ne pas dire éducation nationale. Il se trouvait quasiment en opposition malgré son appellation, avec le courant de type rééducatif, il a eu son apogée dans les années 60-70 sous la forme de SFERPM (Société Française d’Education et de rééducation Psycho-Motrice).

Leurs promoteurs étaient MM. PICQ et VAYER (Education Psychomotrice des débiles mentaux)

C’est ce même Pierre VAYER avec André LAPIERRE qui après avoir opté pour l’action thérapeutique poursuivra sa recherche sur une conception psycho-éducative du geste.

Mais comment ce passage du biologique au rééducatif puis au social s’est opéré ,

On peut se poser la question quand on reprend une des premières définitions officielles de la rééducation psychomotrice : "La rééducation psychomotrice est le résultat de l’intégration, de l’éducation, de l’interaction et de la maturation des synergies et des conjugaisons des fonctions motrices et psychiques, non seulement en ce qui concerne les mouvements et les expressions observables mais encore qui "les détermine et les accompagne : volonté, affectivité, besoins et pulsions".

Comment on est-on arivé là ?

Ce n’est pas une révélation non plus de dire que c’est depuis WERNICKE en 1874 que les désordres psycho moteurs sont mis au premier plan de la clinique psychiatrique suivant en cela les travaux de BROCA en 1861 sur la coordination centrale de l’aire du langage articulé.

Leurs travaux suivis de ceux d’EYMER en 1881 sur l’agraphie et de DEJERINE sur la cécité verbale ont contribué à la mise en évidence des mécanismes corticaux du langage (aphasies motrices et aphasies sensorielles).

C’est de cette époque que date la notion de dominance cérébrale (l’hémisphère droit étant considéré comme un sous hémisphère ou hémisphère dominé ou hémisphère esclave) beaucoup de chemin a été parcouru depuis... quoique le problème des gauchers en particulier à l’Education Nationale soit toujours mal ressenti !

Parallèlement et pourtant de façon plus précoce s’est développé un courant éducatif à base d’activités physiques qui aurait pu aboutir sur une profession d’éducateur physique spécialisé.

Pierre PEYRE en 1971, dans son Mémoire à L’ECOLE Nationale de Santé Publique de Rennes a parfaitement décrit l’évolution de ce courant en partant de l’aspect primitif de l’éducation physique et en passant par la gymnastique dans l’Antiquité Gréco-Romaine, par le Moyen Age et la Renaissance jusqu’à la naissance de la gymnastique moderne et le développement du sport moderne.

La description de la méthode française de DEMENY et de la méthode naturelle d’HEBERT nous rappelle très sérieusement certaines méthodes encore pratiquées dans beaucoup d’établissements spécialisés. Pierre PEYRE nous fait observer que le scientisme de DEMENY annonçait déjà les méthodes les plus récentes de l’éducation psychomotrice, quant à HEBERT, sa méthode était utilisée dans beaucoup d’établissements pour enfants inadaptés et avait fait ses preuves depuis fort longtemps.

On ne peut oublier de citer dans ce même courant le Docteur Philippe TISSIE nommé "Apôtre de l’éducation physique" ayant vécu longtemps à PAU et qui le premier dans ce courant éducatif ait indiqué le mot d’éducation psychomotrice en partant d’exercices de contrôle respiratoire régulateurs de comportements.

Malheureusement, ce courant éducatif en dehors du Docteur LE BOULCH et de sa méthode "La Psychocinétique" n’a pas abouti si ce n’est sur une éducation physique mieux comprise toutes les méthodes ayant contribué à une meilleure approche rééducative. Seules les petites classes de maternelles ont partiellement bénéficié de l’approche éducative psychomotrice mais ce n’est que depuis peu que réapparaissent clairement dans les textes ces termes et tout au moins pour indiquer que certaines activités devraient aider au développement psychomoteur de l’enfant le plus harmonieux possible.

Rechercher la complémentarité dans l’interdisciplinaire en respectant le champ des compétences et les compétences des autres membres de l’équipe et non à essayer d’occuper la place des autres contribue à laisser malheureusement un espace vide à leur propre place.

Le Professeur LEMAY dans une conférence en 1971 sur "réalités et exigence du travail en interdisciplinarité" indiquait que toute discipline axée sur les relations humaines renferme une partie beaucoup plus vague et à cheval sur les professions voisines :

- il est souvent malaisé de dire avec précision ce qui différencie l’entretien psychologique et l’entretien psychiatrique

- il n’est pas toujours très facile de voir clairement la différence entre des actions en milieu ouvert menées par une Assistante Sociale. d’une part et un Educateur Spécialisé d’autre part

- il paraît impossible de décider de l’exclusivité pour une ou une autre spécialité, du travail de l’expression corporelle.

Si on prend l’exemple de la psychomotricité, de champ semble encore bénéficier d’un "flou" au niveau des codes sociaux et on peut dire qu’elle chevauche tous les champs professionnels de l’équipe... il faut s’atteler à une estimation du champ... et ce n’est pas le texte officiel sur les compétences professionnelles qui améliore particulièrement cette estimation d’autant que lorsque le psychomotricien revendique les pratiques de relaxation ce qui semble normal dans la mesure où la psychomotricité s’est appuyée, sans suffisamment le dire, sur le courant oriental, sur ses techniques de concentration et de contemplation mais les professions voisines telles que l’ergothérapie et la kinésithérapie les revendiquent à leur tour. Le monopole d’actes n’est pas fait pour faciliter la complémentarité.

Pourtant l’interdisciplinarité étant un "art du tissage", elle a à voir avec la reconnaissance mutuelle, sous la forme d’un "humanisme" de la pluralité et de la convergence.

Toute spécificité a à voir avec l’unité de l’être humain et toutes se retrouvent dans ce concept de l’interdisciplinarité.

Le rééducateur en psychomotricité, devenu psychorééducateur et enfin psychomotricien se transforme de plus en plus en "psychothérapeute" et pourquoi pas si cela avait été dans le cadre d’une approche psycho-corporelle, il n’en est souvent pas malheureusement le cas.

La prise en charge est de plus en plus psychothérapique et la médiation devient de plus en plus verbale... comme les autres psychothérapeutes !

Ce constat est bien décevant car si la profession a eu des bases très neuro physiologiques et répondait à une demande très rééducative, cette demande devient de plus en plus "sociale"puisque les besoins se manifestent auprès de personnes en "désinsertion sociale" ou en difficulté d’insertion et pour lesquels un travail très "psychomoteur" est très valorisant.

Se sentir exister dans son corps n’est - il pas très motivant dans un travail de groupe ? La parole vient après mais elle n’est pas le seul objectif."