Au Bonheur des maths

Note de lecture par VIOLET Dominique

A l’évidence les mathématiques demeurent une discipline majeure dans le domaine scolaire. Tissant l’analogie entre l’école et le jeu d’échec, on se rappelle que dans les années 70 Stella Baruk avait publié " Echec et math ". Avec une intention humoristique qui rappelle le " Bonheur des dames " de Zola, C. Gérard tente de contrer le malheur de l’échec et nous invite à aspirer " Au bonheur des maths ".

Derrière un titre attrayant et réconfortant pour ceux qui voient les mathématiques comme une maladie génétique, l’auteur nous propose un ouvrage qui veut montrer la pertinence dans une approche " constructiviste " de la complexité de l’enseignement et de l’apprentissage de cette discipline scolaire incontournable. Pour ce faire, les travaux de systémique réalisés par J. L. Le Moigne et G. Lerbet, entre autres, sont largement convoqués.

En s’efforçant de composer avec différents repères conceptuels liés à une épistémologie constructiviste, C. Gérard élabore progressivement une sorte de plaidoyer pour une méthodologie de la formation par alternance. En effet, il semble bien que selon l’auteur l’alternance doit permettre de passer " de la résolution à la construction des problèmes ". Fortement inspiré par la pensée constructiviste piagétienne, C. Gérard reprend la dynamique du système des apprentissages élaboré par G. Lerbet il y a une vingtaine d’années. Par le biais des processus de " problématisation " et de " problémation ". C. Gérard s’emploie à modéliser une organisation cognitive analogue à celle d’un apprenant qui donne du sens et de la signification au travail scolaire qu’il réalise.

Entre et avec " problémation " et " problématisation ", entre et avec déduction, induction, abduction et transduction, les processus cognitifs modélisés par Gérard inclinent à reconsidérer les pratiques didactiques désormais habituelles pour les enseignants de l’école fondée sur les principes de la philosophie d’A. Comte. Ainsi pourrait-on passer du malheur au bonheur des mathématiques ? Mais ne soyons pas dupe de l’utopie qui consisterait à faire de l’alternance la source du bonheur d’apprendre.

Liée au travail scolaire, et dans cet ouvrage au travail qui consiste à apprendre les maths, l’idée de bonheur peut-être entendue d’au moins deux manières. Un première approche du bonheur pourrait consister à entrevoir celui-ci comme l’expression de l’absence de contraintes, de difficultés, en un mot d’échec. Ainsi certains courants pédagogiques évoqués dans le livre auraient-ils pu se nourrir de la crédulité qui conduit à vouloir remplacer le malheur du travail par le bonheur du jeu.

En franche opposition avec cette première lecture du bonheur, une seconde lecture tendrait à concevoir le travail, l’effort,… l’échec de façon moins dramatique. Dès lors malheur et bonheur ne seraient plus antinomiques mais consubstantiels. A la manière de J.-P. Dupuy qui considère que la crise contient l’autonomie, ne pourrait-on pas envisager que le malheur soit contenu dans le bonheur, et/ou inversement ? Une telle posture épistémologique suppose de concevoir le bonheur comme une tragédie dans laquelle le malheur participe d’un processus initiatique. Mais notre humanisme prométhéen nous incite davantage à disjoindre qu’à conjoindre le bonheur et le malheur.

A l’évidence, la réflexion de Camus ne nous est guère familière pour dégager une herméneutique de l’éducation. Et pourtant le fameux mythe de Sisyphe nous aide à comprendre que malheur et bonheur se conjuguent bien ensemble. En effet, ne peut-on pas comprendre que c’est en acceptant de souffrir sans cesse sous la charge du rocher qu’il pousse vers le sommet, sans jamais atteindre le basculement sur l’autre versant, que le brave Sisyphe échappe au repos et à la mort ? Ici le malheur de l’effort ne serait-il pas le ressort du bonheur de la vie ?

Transposé dans le domaine scolaire, le mythe de Sisyphe offre une herméneutique qui n’exclue pas la possibilité d’instaurer l’épreuve de l’échec au rang des épreuves éducatives. Dans cet esprit, M. Serres demande que l’on considère que l’école a surtout réussi sa tâche auprès de ceux qu’elle a fortement contrariés. C’est sans doute quelque chose de cet ordre qui s’exprime quand des parents persuadés de n’avoir rien appris à l’école conseillent à leurs enfants de faire de longues études .

Au terme de la lecture de l’ouvrage de C. Gérard le lecteur est assurément convaincu par " le caractère éminemment paradoxal des mathématiques ". En outre, ce même lecteur devine que le bonheur des apprentissages scolaires, et plus globalement celui de la vie bio-cognitive se dissimule aussi sous des facettes paradoxales. Pour tout cela, ce serait un " malheur " de ne pas lire " Au bonheur des maths ".

D. Violet