Le Métissage

Note de lecture par BIAUSSER Evelyne

Multidimensionnel, polyphonique, multilingue, multiculturel, “3ème voie entre la fusion totalisante de l'homogène et la fragmentation différencialiste de l'hétérogène ”, le métissage est avant tout un alliage dont les composantes gardent leur intégrité.

On l'aura compris, le métissage est le contraire d'une réduction à une opposition de concepts. Il se présente plutôt comme un collage, une triple ou quadruple identité (refusée par les sociétés cartésiennes, bien évidemment), une absence de règles et d'anticipation. Mais avec des ingrédients nécessaires à son émergence : le temps présent, la musique, les voyages et la mobilité, la ville et la mer, la curiosité pour les autres, le mythe en interaction avec la réalité, le doute comme cause et effet, la traduction et le langage comme autant de distances parcourues vers l'autre.

Rien d'étonnant donc à ce que les auteurs (un anthropologue et un linguiste) signalent le chemin malaisé que se fraie le métissage à l'extérieur de sa discipline-mère, la biologie. Aussi visent-ils à travers cet ouvrage “à transformer la notion en paradigme et à montrer sa pertinence dans de nombreux autres champs. ”

Et de l'illustrer par 3 exemples de cultures métisses. L'Andalousie au Moyen Âge apparaît comme un complexe (tissé ensemble) juif-musulman-chrétien, où chacun conserve son identité, malgré la diffusion d'Aristote au sein d'établissements d'enseignement communs aux 3 confessions.

L'Europe de la Renaissance aux Lumières mélange les genres dans l'Art, le Baroque “pratiquant le métissage comme une seconde nature ”, malgré la tentation réductionniste du classicisme et de la Raison. Vienne au tournant du siècle connaît une puissante dynamique interdisciplinaire, où Freud, Klimt, Mahler, Mach, Zweig, entre autres, signent un mouvement culturel global mais à forte identité spécifique.

Dans la seconde partie qui offre une réflexion en 3 points : philosophie, art, et éthique du métissage, Nietzsche, G. Deleuze, Jankélévitch, E. Morin et M. Serres apparaissent comme les penseurs du métissage, tandis que le surréalisme et toutes les techniques mixtes de l'art contemporain “nient le totalitarisme d'une société unitaire ”. Enfin, dans sa dimension éthique, le métissage adopte les figures de la mémoire, garante de la conservation des identités en présence ; de la rencontre, modèle de disponibilité sans intentionnalité à l'autre ; et du devenir, constante altération du prévisible qui est “la dynamique vibrante et fragile du métissage ”. Un concept qui pourrait nous aider à penser les crises du monde contemporain…

E. Biausser