Sacrée Croissance

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

On avait souligné il y a quelques mois (dans la rubrique Veille en reliance, Novembre 2014) l’intérêt de ‘Le documentaire "Sacré croissance" de Marie-Monique Robin ’ que venait de diffuser une chaine de télévision (diffusion complétée par l’édition du DVD correspondant). L’auteure a très judicieusement « transformé l’essai » en complétant ce documentaire vidéo (fait pour l’essentiel d’entretiens très divers) par un livre documentant abondement et scrupuleusement ces entretiens et récits, chacun étant sympathiquement mis en contexte (ce sont souvent des récits d’aventures, microcosmiques à l’échelle de la Planète et des  grandes institutions politiques et financières) ; récits quasi méconnus de la plupart des médias, se déroulant parfois depuis près d’un siècle (la durée de la progressive réaction des sociétés humaines à la proclamation de la ‘nécessaire réduction des humains à l’Homo Economicus’).   Journaliste d’investigation scrupuleuse et réalisatrice expérimentée, elle a l’art de retenir l’attention de son lecteur en utilisant ici les ressources de l’effet de surprise plausible permis par les techniques de ‘la politique fiction’. (Ici, en 2034, on se souvient de ce qu’il est advenu depuis qu’en 2014 le Président de la République a proclamé et mis en œuvre ‘La Grande Transition’, celle qui nous a fait passer du suicide collectif sous ‘croissancisme’ à la réinvention d’une Oeconomie s’auto – éco - régénérant Fictions plausibles d’une socio économie « glocalisante » (la « glocalité » est l’hybridation réussie du local et du global, p.254), ces fictions deviennent ici des réalités possibles, les chapitres-reportages consacrés à ‘La Grande Transition’ vont le montrer de façon convaincante. Nous les rencontrons, depuis plus d’un quart de siècle et sur tous les continents, mais savions nous les voir ? De tels possibles sont observables, descriptibles, évoluant et viables. En outre ils sont d’une telle diversité que l’on ne peut les réduire à aucune solution  unique telle que celle de la soumission universelle au critère encore persistant du ‘One Best Way’, celui  l’Optimisation de ‘l’Utilité Subjective Espérée’ pour les agents ! L’accumulation de ‘possibles’ ne vaut pas preuve universelle, ni même locale, mais elle a une vertu heuristique puissante : elle suggère de nouvelles reliances, de nouveaux itinéraires, elle incite à repérer quelques attracteurs stables. (Le lecteur est parfois surpris de quelques absences notables dans la longue liste des grand pionniers qui ont ouvert la voie : Ici, on penserait volontiers aussi à H A Simon, à François Perroux ou à Edgar Morin, dont les écrits reviennent en mémoire dés que l’on aborde les remises en question du ‘Grand Paradigme d’Occident’ (appelé ici ‘La Grande Idéologie Croissanciste’). Cette vertu heuristique du « C’est possible, nous l’avons fait et continuons à le faire » incite par moment à succomber à la tentation de « La solution » par l‘affichage politique du « Nouveau Paradigme, celui de la Grande Transition ». Tentation qui ici guette l’écriture qui s’emporte vite avec enthousiasme. Le lecteur pressent pourtant combien les comportements des sociétés humaines ne sont pas réductibles à l’image de leurs seules politiques socio-économiques. Les cultures humaines sont des mycéliums, extraordinaire enchevêtrements de racines dans lesquelles ne s’écoulent pas que les sèves des politiques économiques. Suffit-il alors de s’en tenir à la revendication de ‘La Grande Transition’ des politiques économiques ? Convenons que les appels à ‘la réaction face à la très prévisible dégénérescence de « L’Anthropocéne » se multiplient de façon de plus en plus argumentée dans tous les domaines : « Faut-il mentionner une fois de plus les études scientifiques montrant que la planète, du fait des activités humaines, est en train de franchir des frontières au-delà desquelles l'Anthropocéne, c'est-à-dire l'ère dans laquelle nous vivons depuis environ 500 ans, au sein de l'ère géologique de 11.700 ans dite Holocène, est en train d'évoluer vers la destruction irréversible des différents domaines indispensables à la survie d'un très grand nombre d'espèces, dont l'espèce humaine ? Oui, car lorsque des études de plus en plus précises et de mieux en mieux documentées apportent des éléments à ce constat dramatique, il est indispensable d'en faire état » (‘Philoscience - Le blog de Jean-Paul Baquiast et de Christophe Jacquemin’, 05 février 2015) Ne peut-on pourtant demander à ces catastrophismes de mieux en mieux éclairés d’être surtout plus éclairant, plus ‘projectifs que seulement réactifs ? La Grande Transition ne pourrait-elle être surtout celle de l’activation de l’aptitude des humain ‘à  travailler à bien penser’, à ‘relier, relier toujours’ sans jamais tenir tel ‘possible’ pour une certitude ?  : Nous avançons sans cesse dans l’incertain et l’aléatoire et le changement de paradigme de référence ne garantit pas la certitude des promesses d’une ‘Grande Transition’ ; Hormis peut-être celle-ci « Ce qui ne se régénère pas dégénère » que nous rappelle volontiers Edgar Morin. Le lecteur est souvent tenté en achevant « Sacrée Croissance » de relire aussi « La Voie »’ (2011) qu’E Morin publiait quatre ans avant « Sacrée Croissance »: Ne nous invitait-il pas à retrouver en La Voiel’Esprit de la Vallée qui reçoit toutes les eaux qui se déversent en elle’ ? Je suis tenté d’insérer bon nombre des ‘récits’ de Sacrée Croissance dans les pages de divers chapitres de la Voie, autant d’eaux qui se déversent en « La Voie » , voie que trace, chemin faisant, l’élucidation d’une Politique de Civilisation en permanente régénérescence, Civilisation que l’on peut rêver convivialisante ; N’est ce pas en ce rêve que consiste la dignité humaine  JL Le Moigne, février 2015 *-*-*-* PS :je crois utile de reproduire ci-après  la fiche de présentation de livre établie par l’éditeur. Elle propose une ‘lecture vue de l’intérieur’ qui complète l’éclairage Présentation de l’éditeur Nous sommes en 2034 : désormais journaliste et réalisatrice retraitée, Marie-Monique Robin rédige ce livre, qui raconte comment les humains ont réussi, vingt ans plus tôt, à éviter l'effondrement de leur civilisation. Cela grâce à un étonnant sursaut collectif sur venu le 14 avril 2014, après la publication du cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), annonçant les terribles catastrophes provoquées par le réchauffement climatique. Un sursaut relayé politiquement à l'échelle mondiale grâce à... François Hollande, qui avait soudain compris l'absurdité mortifère d'une course après l'« Arlésienne de la croissance ». Une uchronie prospective, donc. Mais qui restitue d'abord, de façon remarquablement pédagogique, les enchaînements ayant conduit, au XXe siècle, à ériger en dogme absolu l'idéologie de la croissance économique. Révélant des épisodes méconnus de cette histoire, Marie-Monique Robin s'appuie notamment sur les analyses des économistes hétérodoxes interrogés pour son documentaire Sacrée Croissance ! (Arte, novembre 2014). Elle montre ensuite comment l'« intoxication de la croissance » a conduit au « grand gâchis » du début du XXIe siècle : épuisement des énergies fossiles et des minerais, crise alimentaire, financière et sociale, menace d'un krach écologique et d'une sixième extinction des espèces... Surtout, elle raconte comment, dès cette époque, se multipliaient partout les initiatives très concrètes de « lanceurs d'avenir » préoccupés par le futur de leurs enfants : experts ou acteurs de terrain, dessinant la voie vers une société durable et plus équitable, en matière de production alimentaire (agriculture urbaine), d'énergie (villes en transition) et d'argent (monnaies locales et nouveaux indicateurs de richesse). Un livre optimiste, qui démontre que, contrairement à certains discours ambiants, nous avons en main toutes les clés pour engager l'indispensable transition vers la société postcroissance.