Le risque psychologique majeur. Introduction à la psychosociologie cindynique

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Le "risque psychologique", c'est celui du "passage à l'acte absurde", qu'il soit de violence (battre un enfant...) ou de démission (s'affilier à un groupe sectaire...), ou quasi absurde puisque perçu sans enjeu... sans raison dit-on (suicide, prise de risque extrême du motard...). Comme le "risque technologique" désormais relativement familier (Bhopal, Tchernobyl...), le risque psychologique (celui de l'effondrement du système de régulation mentale d'un être humain) n'est-il pas anticipable à l'avance ? Ne peut-on repérer les contextes et les histoires qui le rendent presque intelligible ? Ne peut-on, parfois, prévoir assez l'occurrence d'un tel danger (et de son cortège de souffrances et de détresse) pour tenter d'intervenir judicieusement sur ces contextes "cindynogènes" ? De telles questions ne méritent-elles pas d'être posées et explorées ? Sans doute fallait-il, pour qu'on les aborde enfin, tenir ce risque psychologique pour "majeur"... majeur voulant dire ici... statistiquement plus fréquent (même si l'on sait qu'il existe un autre risque que j'appellerais : "le risque statistique majeur", qui consiste à construire des représentations numérisées d'un contexte en ne s'interrogeant pas sur la validité de leurs interprétations !) : l'augmentation du nombre de délits violents attribués aux jeunes, par exemple, ou celui du nombre de suicides,... vont permettre de qualifier de "majeurs" des risques psychologiques qui nous sont toujours insupportables mais qu'on n'osait traiter puisqu'ils étaient statistiquement "mineurs" !... N'en allait-il pas de méme pour le risquetechnologique ? : La catastrophe de Courrières (1906, 1.200 morts) n'était pas... encore "majeure" ; celle de Tchernobyl (1986) le fut... ; et, reconnue majeure, elle suscita enfin le développement des cindyniques, science du danger... et sciences de la complexité... bien incapables de se ranger dans les catégories disciplinaires de nos académies !

I1 faut savoir gré aux quatre pionniers qui viennent de lancer courageusement cette première balise sur l'océan de nos indifférences trop bien disciplinées : en publiant "Le risque psychologique majeur", ils nous invitent à construire "quelques passerelles transdisciplinaires entre les approches pratiques de terrain dans les familles et la société" (p. 155) et ils nous montrent la difficile faisabilité de l'exercice : il ne suffit pas de juxtaposer deux psychiatres expérimentés (l'une ayant l'expérience des traitements de toxicomanes, l'autre ayant celle des victimes de groupes sectaires), une historienne responsable municipale de la prévention de la délinquance, et un grand ingénieur ayant une exceptionnelle expérience de grandes organisations complexes, aujourd'hui expert en "gestion des risques" aprés de 1'OMS..., pour constituer une problématique de recherche scientifique bien assurée. Il faut aussi qu'ils fassent leur l'effort d'une commune méditation épistémologique et d'une commune expression pragmatique (le langage de la modélisation de la complexité). Il faut enfin qu'ils exposent leurs premières investigations à une large discussion critique, en assumant "les imperfections de leur entreprise" (p. 155).

Conditions qu'ils ont su réunir et qui nous valent aujourd'hui cette "première tentative" invitant de "nouveaux modèles de pensée : ce dont nous devons tous leur savoir gré. Anous tous, avec eux, de poursuivre ces explorations de terres quasi inconnues que la recherche scientifique délaissait trop dramatiquement.

Puisque ces quatre "militants" de nouvelles formes de recherches dans des domaines si manifestement importants pour les citoyens de la "terre-patrie" nous y invitent, proposons leur quelques premières réflexions critiques : il ne s'agit pas de décourager leur futur lecteur, mais de le préparer à une petite déception s'il aborde ce livre avec trop d'enthousiasme. Sans doute parce que leurs expériences personnelles avivaient leur sentiment de l'urgence, je crois qu'ils ont écrit ces 150 pages trop rapidement, ne consacrant pas assez de temps à la confrontation de leurs interprétations et de leurs argumentations. Peut-être leur fallait-il d'abord susciter quelques "retours d'expériences" pour tenter d'organiser leur entreprise en une "introduction à la psychosociologie du risque... d'effondrement des défenses psychiques". Entreprise compliquée par l'hypothèse sous-jacente de l'incomplétude d'une "psychosociologie" ? : Une chimio-physiologie, une neurobiologie des comportements (l'influence de l'odeur de la poudre !), une sémiologie, une écologie, une ergonomie, une dialectique... bien d'autres disciplines sont ici à mobiliser, ce que les auteurs ne contestent nullement bien au contraire, mais ce qu'ils n'annoncent peut-être pas assez d'emblée.

Entreprise compliquée aussi par la diversité des champs où elle s'aventure parfois, des sciences de l'éducation à ceux de l'ergonomie-gestion par ceux de l'action sociale. Je retrouve, en lisant "Le risque psychologique majeur" les souvenirs d'autres lectures que l'on voudrait déjà relier à celle-ci : ainsi "La prise de risque dans le travail" (P. Goguelin et A1., éd., Editions O/E Marseille 1988, avec en particulier une étude surles fondements épistémiques, d'A. Demailly) ; ou "Le travail social à l'épreuve des violences modernes" (de B. Tricoire et Al, L'Harmattan, 1993).

L'enthousiasmant n'est-il pas que, fort pragmatiquement, citoyens et scientifiques entreprennent les réflexions épistémiques qu'appellent aujourd'hui nos complexes pratiques ?... Ne sommes-nous pas tous concernés par... le risque psychologique... face à un adolescent présumé entêté ou en conduisant notre voiture derrière "un chauffard énervant" ?...

JLM.