Prospective et analyse de système

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis, DURAND Jacques

Ndlr : « Prospective et Analyse de Systèmes » rédigé par Yves BAREL († 1990)  fut certainement le premier ouvrage solidement documenté pour l’époque, (1971) introduisant dans les cultures scientifiques françaises l’analyse de systèmes qui devint vite l’analyse systémique puis la modélisation systemique. Il nous apparait opportun d’attirer 40 ans après sa parution, l’attention sur ce texte d’Yves BAREL désormais d’un accès aisé sur la Toile Internet. N’est-ce pas aussi dans ce terreau que nos connaissances d’aujourd’hui sont enracinées ? Il apparaitra paradoxal aujourd’hui de constater que de tels textes sont encore d’une remarquable pertinence. L’auteur de « Le Paradoxe et Le Système » (1979, 1989) nous invitait déjà à être attentifs aux vertus d’un tel paradoxe dés lors que l’on s’attache à le réfléchir On trouve par ailleurs une recension (Note de synthèse) de 9 pages rédigée en 2005 de l’ouvrage d’Y Barel établie par Prosophia 01/2005) NOTE DE LECTURE EN DEUX VOLETS [ I ] Brève fiche de lecture rédigée par JL Le Moigne et publiée initialement en 1973 dans la recension bibliographique commentée de son livre « LES SYSTEMES D’INFORMATION DANS LES ORGANISTIONS » ‘(Ed PUF 1973, p 214) Un document remarquable. Un tour de force aussi dans la mesure où il parvient à présenter les nombreuses facettes de la théorie des systèmes presque de façon exhaustive, au prix peut-être de quelques rares lourdeurs, et tentant même de proposer... un certain ordre dans une littérature foisonnante (excellente bibliographie de 136 titres). Appelant sans doute débats et mises au point, développant davantage l'analyse systémique que ses contributions à la prospective, l'ouvrage constitue aujourd'hui une précieuse référence en langue française qui épargnera désormais bien des recherches intermédiaires. La distinction, en particulier, de l'approche systémique décisionnelle et de l'approche systémique cognitive semble devoir être extrêmement fructueuse! On souhaite que le mot d'introduction : « ... études qu'effectué l'administration à l'intention du gouvernement... », préface le passage de l'intention... à l'acte! On se prend à rêver de ministres lisant ce texte! (publié sous le timbre de la D.A.T.A.R., ce document a été rédigé par Y. BAREL). JL Le Moigne 1973 [ II ] Note de lecture reprenant de larges extraits de l’AVANT PROPOS de l’ouvrage-« Prospective et Analyse de Systèmes », N° 14 des ‘Travaux et Recherches de Prospectives’, 1971, (Travaux publiés régulièrement à l’époque  par la DATAR - Directeur de la publication Jacques DURAND, et rédacteur de cet Avant Propos) «  .... L'intérêt de l'ouvrage réside moins sans doute dans la présentation des différentes recherches contemporaines que dans l'effort de réflexion et de clarification conceptuelle qu'il nous invite à entreprendre, en bref dans l'exigence épistémologique qu'il traduit. On a sans doute trop pris l'habitude �?? et c'est le fait de toute discipline qui cherche à acquérir le statut de science et une certaine notoriété �?? d'utiliser la prospective sans y apporter la rigueur et le sérieux indispensables. Le rappel vigoureux à la nécessaire interrogation sur la détermina­tion des concepts, sur leur contenu, leurs limites et leurs différences (par exemple entre prospective et prévision, entre prospective et utopie) paraît essentiel pour donner à la prospective les moyens de s'affirmer et de se constituer en discipline autonome. II est de même judicieux de rappeler, comme le fait Yves Barel, que la prospective ne peut se contenter d'être une investigation sectorielle, même approfondie, et qu'elle doit prendre en compte les dimensions de la société globale dans laquelle s'inscrit forcément le secteur étudié. Or, s'il semble relativement aisé d'explorer par exemple les devenirs possibles d'un domaine technologique, il est beaucoup plus délicat d'étudier les interdépendances à la fois technolo­giques, institutionnelles ou plus généralement sociales (ou « sociétales » pour reprendre une expression que l'auteur, après d'autres, utilise pour parler de la société dans son ensemble) que suppose cette prospective particulière. Cela signifie en clair que l'étude de la société et de son avenir est nécessairement celle des relations dynamfques qui caractérisent son dé­veloppement. On verra combien l'auteur met l'accent sur la difficulté de cette approche et souligne les répercussions, sur le système socio-culturel et particulièrement institutionnel, des relations entre les secteurs. L'interrogation de Barel pose simultanément avec vigueur deux problèmes désormais inéluctables : �??   celui de la nécessité absolue d'une prospective sociale globale, quelles que soient les difficultés que soulèvent sa démarche, sa mesure et sa compatibilité avec les prospectives par secteurs ; �??   celui de la prise en compte des décisions technologiques, économiques et politiques par la prospective. La prospective n'est pas en effet uniquement l'étude des virtualités, des possibilités, ni seulement la mise en lumière des différents facteurs nécessaires à la prise de décision, c'est aussi et en même temps la prise en compte du pouvoir que recèlent ces décisions et qui s'imposent à la prospective elle-même. La complexité du domaine, inhérente à sa globalité, exige la mise en œuvre d'une méthode qui ne se propose pas d'être un reflet partiel et terni de son objet, mais une sorte de grille de lecture d'une réalité sociale à la fois dense et diffuse. Les progrès des sciences exactes ne peuvent nous rassurer totalement dans cette nouvelle démarche. La prospective n'admet pas les processus linéaires et univoques auxquels échappent évidemment les phénomènes sociaux. Le développement de l'analyse des systèmes apporte un nouveau souffle à l'investigation prospective. Le grand nombre des variables prises en compte, la détermination d'objectifs généraux, la définition des alterna­tives, l'intégration des calculs des coûts et avantages, l'élaboration de modèles différenciés et hiérarchisables offrent une gamme nouvelle de possibilités à la recherche. L'approche systémique qui se définit comme « l'étude d'un ensemble d'éléments diversifiés en interaction dynamique » beaucoup plus que comme une technique de recherche opérationnelle stricte, permet d'élargir le champ des interdépendances et d'introduire le qualitatif dans le fonctionnement du système. Cependant l'analyse systémique soulève aussi de nouveaux problèmes : par exemple, quel langage peut devenir commun aux disciplines scientifiques, quelles composantes méritent d'être retenues et comment les hiérarchiser ? La relation de causalité telle que nous l'ont transmise les sciences dites exactes garde-t-elle une valeur explicative ? L'usage de ce nouvel instrument soulève de telles questions qu'on ne peut considérer l'analyse systémique comme une réponse absolue : quelle démarche scientifique pourrait d'ailleurs y prétendre ? Il reste que les questions débattues dans l'ouvrage d'Yves Barel sont en elles-mêmes de premiers éléments de réponse. Le problème de la prospective est clairement posé, et dans un langage qu'on aimerait au demeurant trouver dans de nombreux livres scientifiques. La jonction de l'analyse systémique et de la prospective permettra de faire progresser dialectiquement l'une et l'autre au profit de tout domaine d'études, de tout organisme de décision. Nul doute que la Délégation générale à la Recherche scientifique, qui a confié à l'équipe de travail de l'Institut de Recherche et de Planification de Grenoble (1REP), et particulièrement à Yves Barel, d'importants travaux sur la politique de la recherche scientifique, y trouvera, en attendant la fin des travaux entrepris pour son compte, d'utiles enseignements. Il va sans dire que la Délégation à l'Aménagement du Territoire qui contribue à mettre en œuvre le Schéma général d'aménagement de la France et son système d'études (SESAME), est directement intéressée par l'ouvrage d'Yves BAREL. Il était donc naturel qu'à ce titre, il figurât dans la collection « Travaux et Recherches de Prospective ». Jacques DURAND, Chargé de mission à la DATAR, 1971.