PHILOSOPHIE and COMPLEXITE, Worldviews, Science and Us

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

            C’est le titre,  PHILOSOPHIE and COMPLEXITE, qui m’a d’emblée attiré : Les ouvrages en langue anglaise proposant de contribuer à nos réflexions contemporaine sur les fondements épistémologiques du paradigme de la complexité, ne sont pas encore nombreux. En revanche bien sûr depuis une dizaine d’années, les ouvrages spécialisés une discipline incorporant le mot complexité dans leur titre sont légions, mais ils s’attachent rarement à la critique épistémique interne de leur développement, me semble t il. Il est vrai qu’il en est tant que je ne peux ésperer tous les lire. Occasion de lancer un appel aux veilleurs : Notre Cahier des lectures MCX est ouvert.

            Montrons l’exemple alors en proposant d’arreter notre attention sur ce nouvel ouvrage collectif colligé par C. Gershenson (Bruxelles) et B. Edmonds (Manchester), à partir d’un Symposium organisé en 2005 à Liverpool lors de la Conférence ‘Complexité, Science and Society’. Le livre a sans doute les inconvénient du genre : une vingtaines d’auteurs, d’origines géographiques très diverses, juxtaposent  leurs réflexions sans aider le lecteur à percevoir leurs interactions mutuelles. Mais comme dans le lot il en est plusieurs que j’ai lu avec un vif interet et l’envie de poursuivre l’échange, peut-être saurais je inviter d’autres lecteurs à entrer dans la danse.

            Dés l’ouverture, le lecteur a en effet la chance de rencontrer un riche article d’Edgar Morin traduit et publié en anglais. Comme les traductions en anglo américain (du Nord) d’articles d’Edgar Morin sont encore relativement peu nombreuses (surtout par contraste avec celles publiées dans les langues  latino américaines et méditerranéennes), notre attention est volontiers attirée. Comme l’éditeur a été assez courtois pour installer sur son sitei les fichiers du sommaire et du premier  chapitre,  nous pouvons aisément accéder économiquement à ce texte d’E Morinii que je tiens volontiers pour le viatique de l’épistémologie de la complexité.  Les lecteurs francophones retrouveront ainsi en anglais l’essentiel de sa contribution à l’ouvrage ‘Intelligence de la Complexité, Epistémologie et Pragmatiqueiii (Cf le chapitre 2) publié en janvier 07 aux éditions de l’Aube.

            Je ne peux dans le cadre de cette note proposer une discussion des quelques vingt contributions de ce dossier sympathiquement présentées par les coordinateurs (Carlos Gershenson, Diederik Aerts and Bruce Edmonds) dans leur ‘Introduction’. Certain d’entre eux ne présentent d’ailleurs qu’un rapport assez indirect avec le projet affiché, celui de « l’impact du Paradigme de  la complexité sur la philosophie » (‘Complexity science, immersed in a culture of information, is having a diverse but particularly ‘significant impact upon philosophy’).

             Je me permets pourtant d’attirer l’attention sur trois articles dont la portée épistémologique m’a paru particulièrement pertinente dans le contexte du projet de  cet ouvrage  Ceux de Bruce Edmond : ‘Simplicity is Not Truth-Indicative, de Paul Cilliers : ‘On the Importance of a Certain Slowness’ et de Don C. Mikulecky : ‘Complexity Science as an Aspect of the Complexity of Science’. D’autres lecteurs pourront peut-être nous proposer d’autres sélections, mieux argumentées que celles que je présente trop rapidement ici.

            En revanche il me semble qu’il faut attirer l’attention  des lecteurs sinon de la plupart des auteurs de cet ouvrage collectif sur ce qui semble être une réduction du paradigme épistémologique de la complexité à sa portion académique : peut-être est ce parce qu’ils l’ont perçu également que les coordinateurs de l’ouvrage ont sollicité Edgar Morin en l’invitant à ouvrir ‘Philosophy and Complexity’ par son article « Restricted Complexity, General Complexity » (p. 5-25) ?

            En effet,  alors que la plupart des texte introduisent ou développent , à juste titre , les concepts d’emergence, d’auto-organisation, ou  de niveaux multiples, aucun ou presque n’évoque les contributions historiquement fondatrices sur ces thèmes de W. Weaver (‘Science and Complexity’ date de 1948), H von Foerster (‘On self organizing systems’ date de 1959 ou de H Simon (‘The architecture of complexity’ date de 1960) ,ou de G Bateson (‘Forme, Substance, Différence’ date de 1970), ceci pour ne citer que des auteurs anglo saxon dont les contributions à une épistémologie de la complexité sont toujours pionnière et plus importantes que celles de nombre de leurs contemporains que citent volontiers la plupart des articles.

            On n’est pas surpris qu’ils ignorent encore les grandes contributions épistémologiques francophones de P Valéry, de G Bachelard ou  d’Edgar Morin. Mais les noms que je cite appartiennent  indiscutablement à la culture scientifique et philosophique anglo américaine, et leur contribution est bien plus fondatrice que celles des leurs contemporains ici volontiers référencés. Ce ne serait là que vaine querelle académique, si leurs contributions étaient effectivement interprétées, fut ce en ignorant leurs noms pour étayer l’argumentation. Mais ce ne me semble pas être souvent le cas.

            L’exemple des développements sur le thème de l’emergence n’est-il pas significatif ? Elle est ici presque toujours retreinte à un effet holistique  (‘le tout plus que la somme des parties’). Pourtant dés 1977,  Edgar Morin introduisait (dans ‘la Méthode T 1’, par un chapitre intitulé précisément ‘Les émergences’, p.105-115.), ‘l’émergence de l’émergence’  …  dans les cultures scientifiques et philosophiques des phénomènes d’interaction et d’antagonisme entendus dans leur ‘Unitas Multiplex’. L’emergence  s’entend  de façon beaucoup plus ‘ouverte’,  comme  un phénomène interprétable de façon dialogique, interactionniste (‘La partie est elle aussi beaucoup plus qu’une fraction du tout’). L’inattention à cette intelligible ‘complexité générale’ réduit trop souvent  l’interprétation du processus à une sorte de modèle restreint de l’emergence, en perdant son ‘potentiel poïétiqueéiv’. et en masquant ‘sa dimension d’imprédictibilité’.

            Que cette remarque sur une invitation à développer plus encore notre intelligence de la complexité ne gâche pas notre plaisir : Les ouvrages traitant de la complexité sans la retreindre à la description de quelques boites à outils méthodologiques  ne sont pas encore nombreux : Félicitons nos collègues d’avoir relevé le défi en méditant sur leurs expériences d’applications de quelques outils de cette boite (le sommaire de l’ouvrage en témoigne), et encourageons nous mutuellement à poursuivre l’exercice. : Il s’agit toujours de transformer nos experiences en science avec conscience. 

JL Le Moigne


[iv] Cette faiblesse n’est hélas pas propres aux auteurs écrivant en ‘anglo-américain’. Un récent dossier d’un magazine scientifique francophone consacré à ‘l’emergence‘ présente les mêmes limitations.