L'enseignement des sciences en alternance

Note de lecture par LERBET Georges (†)

Il est devenu banal, après les travaux de Piaget sur la prise de conscience, de différencier grossièrement les processus cognitifs classiques mis en oeuvre dans les démarches didactiques de l'enseignement traditionnel, et celles qui le sont électivement dans les formations en alternance. Quand il s'agit des disciplines scientifiques, l'ordre qui privilégie le cours magistral et les exercices qui le suivent, caractérise bien celui-là : on commence par "comprendre" avant de "réussir", selon la célèbre distinction de Piaget. En revanche, dans les formations en alternance où l'activité sur le terrain professionnel est première par rapport à sa conceptualisation, l'ordre précédent est inversé ; l'élève a tendance à commencer sa démarche d'apprentissage des savoirs savants, par réussir des savoir-faire à la ferme, à l'atelier, à l'usine, etc., avant de les intégrer à des opérations plus délibérément modélisatrices.

C'est à l'abord de situations concrètes de cette nature que cet ouvrage est consacré. Avant que des formateurs en physique, en chimie, en biologie, en mathématiques, en informatique, etc., rendent compte de situations pédagogiques concrètes dans lesquelles le lecteur suit le cursus complexe de pratiques didactiques souvent inventives, des universitaires (André Geay, Christian Gérard et Jean-Claude Sallaberry) ont pris, soin de baliser, chacun dans sa perspective, ce domaine si peu théorisé de la formation scientifique en alternance.

En s'appuyant sur les recherches des systémiciens auxquelles nous sommes habitués à MCX, André Geay est ainsi amené à faire un travail de conceptualisation de la didactique dans l'alternance mais aussi d'une didactique de l'alternance, c'est-à-dire "une manière spécifique d'"y" enseigner les disciplines en rapport avec la façon dont on "y" apprend" (p. 14-15) ; cela s'entendant comme "une didactique d'explicitation collective et de problématisation interdisciplinaire" (p. 34) liées à la complexité des situations-supports vécues par les élèves.

C'est précisément sur les processus de problématisation en mathématiques et en sciences que se penche Christian Gérard. Dans les pages de ce chapitre "", il s'efforce de reprendre la distinction forte dont l'alternance favorise la prise de conscience, entre problématiser et problémiser. Dans bien des cas, le stagiaire en alternance (comme le chercheur scientifique parfois) n'a pas pleinement conscience en le construisant, de l'existence du problème qui se pose à lui. Il est alors aux prises avec tout autre chose qu'avec un problème, un obstacle identifié qu'il convient de résoudre ; qu'il sagisse de problèmes explicités ou de situations-problèmes à vocation pédagogique faussement concrètes pour parvenir à user d'heuristiques quand l'algorithme de résolution est trop "distant" du sujet qui parvient déjà difficilement à prendre conscience du résultat.

"Pour s'appproprier un savoir, le sujet qui apprend construit des représentations. Certaines lui sont proposées "toute faites" par l'enseignant ou les manuels. Il ne doit pas moins les reconstruire, pour lui". En partant de cette proposition (p. 53) qui s'appuie sur ses propres recherches, Jean-Claude Sallaberry invite le lecteur à méditer avec lui sur les conditions pédagogiques variées offertes à l'élève pour procéder à de telles reconstructions. Il souligne ainsi le poids des interactions entre savoir-faire et savoir formel, qu'il illustre bien dans ce qui suit (p. 73) où l'alternance n'apparaît plus comme une pédagogie isolée, ni réservée aux jeunes en échec dans les formes scolaires classiques : "Qui parmi ceux qui (...) investissent (un savoir formel mathématique, par exemple) est dans la situation de l'artisan charpentier vis-à-vis d'un escalier ? Qui conjugue à la fois la rigueur de la pensée avec l'esthétique de la démarche ? Le mathématicien, bien sûr ! Ainsi tenter de réconcilier la dynamique R2, la pensée scientifique, avec les images du vécu, n'est pas l'apanage d'un enseignement pour sujets ayant eu des difficultés : ce devrait être l'enjeu de tout enseignement".

Georges Lerbet