L'écriture du Droit... face aux technologies de l'information

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

En s'interrogeant sur "les fonctions de l'écriture", fonctions dont l'enchevêtrement révèle la complexité de cette "technologie cognitiv ",- et en illustrant ces réflexions par "I'écrituredu Droit", exercice universel et familier depuis plusieurs millénaires, on va prendre conscience du caractère étonnant de cet exercice : il est auto-éco-ré-organisateur des processus de pensée raisonnante que suscitent les interactions humaines. Les nouvelles technologies de l'information (ici les systèmes d'hypertextes, ou d'EDI, ou de bases de connaissances, etc.) semblent aujourd'hui accélérer ces transformations du droit... mais aussi des modes de raisonnements que chacun privilégie, mais elles ne les engendrent pas : les conclusions de la plupart des études que rassemble ce bel ouvrage collectif auraient pu être écrites avant l'irruption des N.T.I. ! (A quelques pages près, convenons-en !) : en "formant" la pensée (en lui donnant "forme symbolique") l'écriture ("art de tracer des symboles qui désignent et dénotent") la "transforme" ou la re-forme. Chacun en a, bien sûr, l'expérience, mais le regard de l'historien et du sociologue autant que celui du cogniticien, enrichit beaucoup l'interprétation de cette expérience. Je n'en prends pour preuve que le l'étude originale que L. Melh consacre à la comparaison des "textes juridiques et des textes mathématiques" (p. 105-130), illustrant le nécessaire recours à la rhétorique que doit toujours faire le logicien (étude qui conforte beaucoup certains des riches développements que Charles Roig a consacrés à cette thèse, notamment dans les DOSSIERS MCX VII "sur les fonctions épistémiques du langage" et MCX X "Le discours sur et dans les mathématiques").

On ne peut ici proposer une discussion de ces études, qui s'avèrent toutes aisées à lire même lorsqu'elles s'intéressent à des questions relevant de la "technique juridique". Richesse de la langue des rhéteurs : bien maîtrisée, elle permet de tout exprimer intelligiblement, à l'intention d'un citoyen attentif, par le bon usage de sa "langue naturelle" (en activant ainsi nous rappelle J.B. Grize sa "logique naturelle"). C'est peut-être ce que, paradoxalement, nous révèlent le mieux les développements des NTI dans les pratiques du droit... écrit : ce sont davantage les N.T.I. que l'écriture du droit transforme que les N.T.I. qui transforment l'écriture du droit. Depuis les réflexions fondatrices de Turing, de Polya et de Newell et Simon ("Conférence Turing, 1975"), nous savons queles NTI ne sont pas réduites à la seule mécanisation des procédures validées par une logique formelle décontextualisée. Mais nous risquions de l'oublier tant sont séduisants les exercices de calcul arithmétique et logique. Les méditations originales et solidement argumentées que nous proposent ici D. Bourcier et ses coauteurs nous rappelle que les NTI peuvent aussi s'exercer aux multiples jeux de la computation symbolique que requiert l'écriture du Droit dans ses innombrables manifestations. Les quelques pages que D. Bourcier et M. Rajman consacrent au "paradigme de la sémantique interactionnelle" intéresseront certainement tous ceux qui, juristes ou non, ont à osciller sans cesse entre des perceptions implicites et des jugements explicites : norme technique, norme juridique, norme éthique, ne seront pas seulement des normes écrites, mais aussi des normes réécrites. Les NTI nous apportant aujourd'hui quelque nouvelle compréhension "des mécanismes d'évolution de l'écriture des normes" (p. 32).

J.L. Le Moigne.