Histoire(s) de vie de Edgar Morin

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

    Au fil d’une vingtaine d’entretiens ‘se déroulant sur un temps assez long’, Edgar Morin va évoquer les traces réfléchissantes que laissent événements et réflexions dès qu’on s’attache à les contextualiser. Ces traces deviennent alors une sorte d’agent catalytique, celui du ‘recours aux forces vives anthropo-bio-éthique et anthropo-biopolitique, forces vives de l’hyper complexité’ disait-il en guise d’épilogue achevant le Tome 2 de ‘La Méthode-La Vie de la Vie’ (1980).

    Je cite ici cette conclusion de « La Vie de la Vie » car elle m’est apparu très ‘reliante’ à la seconde partie de ces ‘Histoires de Vie’, celle où le mot ‘Vie’ émerge souvent dans ces attentions aux forces potentielles avivées par une occurrence de l’évènement telle que l’amitié ou la fraternité, portées par l’indicible souvenir d’une amitié ou d’une fraternité, parfois évoquées au moment de quelques passages où Edgar Morin s’attache à recontextualiser en invitant à « penser l’évènement » (selon le mot de Hannah  Arendt). Le titre « Histoires(s) de vie » nous introduit à l’ambiguïté délibérée de l’ouvrage que l’on peut lire entre les ‘Histoires de Ma vie’ (personnelle) et ‘Histoires de La Vie’.

    C’est je crois la discrète perception de cette bivalence que je retiens en refermant l’ouvrage. Elle s’est manifestée explicitement en abordant le chap. 12 avec ‘Le citoyen du monde’ qu’Edgar Morin mentionne en se référant à ‘Terre-Patrie’ (1993). Occasion de rouvrir ce livre qu’Edgar Morin présentait sous une formule audacieuse mais très bien documentée : ‘l’Homme se comprend en Vie : Cette minuscule pellicule de vie entourant la minuscule planète perdue dans le gigantesque Univers’.

    Les pages des ‘Mémoire(s) de Vie’ sont ici chargées des formes discrètement engramables des ouvrages qu’Edgar Morin a consacré à ce que l’on pourrait appeler ‘l’Intelligence de La Vie’, traces qui se forment au fil des questions que la journaliste sait présenter et recueillir lorsqu’alentour un évènement fut ou est fortement médiatisé ou lorsque la lecture d’un nouveau livre ou article d’Edgar Morin l’interpelle. La lecture de la page de Montaigne évoquant le décès de son ami la Boétie ne contribue-t-elle pas à l’activation de cette ‘Intelligence de la vie ‘ « ... Qu'un ami véritable est une douce chose… ».

 

    Je confesse qu’en achevant ma lecture j’ai volontiers remis sur ma table le T 2 de La Méthode, ‘La Vie de la Vie‘ que, depuis 1980, j’ai souvent réouvert sur le paragraphe ‘L’Organisation des activités vivantes’, en particulier sans doute parce que sa lecture m’incitait aussi à l’accompagner de celle du T 3, La Connaissance de la Connaissance ?

    Au lecteur qui me reprochera de privilégier la lecture de la théorie sur celle de la pratique, je l’invite à s’exercer ici à la démarche de la journaliste qui s’attache à questionner tacitement la théorie à partir de la pratique.

JL Le Moigne, 26/02/22