Pour une écologie de l'attention

Note de lecture par BIAUSSER Evelyne

L’auteur, professeur de littérature à l’Université de Grenoble, inverse le point de vue généralement adopté pour aborder le phénomène de l’attention. En effet, il l’analyse tout d’abord en tant que construction collective plutôt qu’individuelle (qu’il nomme d’ailleurs « individuante » au titre que l’attention individuelle est une aventure construisant l’individu, plus qu’un simple vecteur le branchant sur l’information extérieure). Partant d’une économie de l’attention, qui s’appuie sur la notion de « bien rare », énoncée en premier par Herbert Simon en 1969, il la transforme en écologie de l’attention, où l’important devient moins sa rareté que la multiplication de ses interactions avec un environnement complexifié. Il nous convie ensuite à une écosophie afin de mieux faire attention à ce qui le mérite dans cette pléthore d’informations qui nous assaille, puis à une écologies car notre attention est le fruit de multiples échos et résonances. Yves Citton commence par décrire l’ « envoûtement » de la médiasphère en tant que contexte omniprésent de l’attention, un contexte qui reconditionne la réalité  plus qu’il ne la reproduit. Ainsi, notre attention est-elle soumise autant à l’habituel comportement grégaire de l’individu, qu’au régime de l’  « alerte » qui la capture en utilisant nos peurs. Du fait que notre attention devient un capital plus rentable que les biens pour lesquels elle est sollicitée, l’auteur voit là le développement d’une forme nouvelle de capitalisme. Ce capitalisme de l’attention se divise entre ses prolétaires (ceux qui ont une faible part dans la médiasphère), et ses « prééminents » qui jouissent de notoriété, prestige et célébrité. La publicité est ici définie comme un « impôt sur la perception », tandis que les média tiennent le rôle des banques en créant de la monnaie mentale réinvestie dans la finance, ainsi que le fait le crédit bancaire. Ce système, en  investissant toujours plus de ressources pour augmenter fictivement l’attention, devient une « course aux armements attentionnels ». Dans cette optique, l’auteur cite Google et Page Rank,  exemplaires pour lui de la marchandisation de l’attention qu’opère la numérisation. A travers les deux environnements particuliers que sont l’enseignement et le spectacle vivant, il définit quatre conditions favorisant l’attention conjointe (« quand l’attention de l’un influence l’attention de l’autre à aller dans le même sens »). Il s’agit donc de chercher ensemble, de partager l’émotion, d’agir dans un écosystème de petite taille, de favoriser la proximité corporelle –ce qui incidemment donne limite aux MOOC (enseignements à distance). L’auteur en profite pour rappeler à l’usage des pédagogues critiquant l’inattention des apprenants, qu’un environnement attentionnel ne peut être désirable aux yeux de ceux-ci que si on le rend désirable ! De même illustre-t-il par quelques contextes des attitudes bénéfiques à l’attention conjointe : le « care » des anglo-saxons, l’écoute flottante freudienne, dont la finalité est de comprendre l’autre, et dont on devrait tirer enseignement, dans une époque où la faiblesse de l’attention collective remplace peu à peu « les formes de vie désirables » par des productions à conséquences polluantes. Dans la dernière partie de l’essai, Yves Citton aborde un aspect plus éthique de l’écologie de l’attention, au travers de la capacité qu’on lui attribuera à transformer le futur. Plutôt que de critiquer l’érosion de l’attention générée par la société médiatisée, l’écologie de l’attention doit s’attacher davantage à repenser les Institutions, à élargir nos visions par une lecture du  monde plus pluraliste. Il évoque à ce sujet « l’épreuve » que constitue chaque rencontre avec l’art moderne par la dissonance cognitive qu’elle nous occasionne, inconfortable à première vue, mais source d’expérience qui  nous guide vers un niveau d’existence plus élevé. Enfin, une écosophie de l’attention ne peut se construire que sur la liberté. Liberté de modifier notre environnement technique, social, institutionnel et politique, afin de conditionner autrement nos perceptions à venir, liberté de réorienter nos attentions vers des biens communs plutôt que vers des profits particuliers, liberté de désaliéner l’attention de son carcan préformaté pour en faire un outil de construction du sens. Je me permettrai –qu’Yves Citton me pardonne-  de citer un proverbe chinois résumant bien son Ecologie de l’attention : « la façade d’une maison n’appartient pas à son propriétaire, mais à celui qui la regarde ». Evelyne BIAUSSER *-*-*-*-*-* Pour information : Présentation de l’ouvrage par l’éditeur Économie de l’attention, incapacité de se concentrer, armes de distraction massive, googlisation des esprits : d’innombrables publications dénoncent le déferlement d’images et d’informations qui, de la télévision à Internet en passant par les jeux vidéo, condamnerait notre jeunesse à un déficit attentionnel pathologique. Cet essai propose une vision d’ensemble de ces questions qui prend à contre-pied les lamentations courantes. Oui, la sur-sollicitation de notre attention est un problème..à mettre au cœur de nos analyses économiques, de nos réformes pédagogiques, de nos réflexions éthiques et de nos luttes politiques. Mais, non, l’avènement du numérique ne nous condamne pas à une dissipation abrutissante. Comment rediriger notre attention ? À quoi en accorder ? Faut-il que chacun apprenne à « gérer » ses ressources attentionnelles pour être plus « compétitif », ou faut-il plutôt nous rendre mieux attentifs les uns aux autres ainsi qu’aux défis environnementaux (climatiques et sociaux) qui menacent notre milieu existentiel ? Ce livre défend la seconde voie. Il pose les fondements d’une écologie de l’attention comme alternative à une sur occupation qui nous écrase. Il espère que vous trouverez le temps de le lire… Pour feuilleter les premières pages de l’ouvrage, cliquer ici OÙ ACHETER