La communication par la bande. Introduction aux sciences de l'information et de la communication

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce livre est sans doute le premier en langue française présentant une "introduction aux sciences de l'information et de la communication"! Sans doute disposait-on depuis quinze ans du manuel de R. Escarpit : "Théorie générale de l'information et de la communication" (Hachette, 1976), et des ouvrages prolixes d'A. Moles, mais il ne s'agissait que d'une présentation "en extension" de la pervasive "Mathematical Theory of Communication" de C. Shannon (judicieusement présentée dans ses ressources potentielles par W. Weaver). G. Bateson et l'Ecole de Palo - Alto y étaient inconnus, comme la Sémiotique et la Pragmatique (C.S. Pierce) et bien sûr les théories de l'auto-organisation et leurs développements tant dans l'ordre des sciences de la communication que dans celui des sciences de la cognition (H. Von Foerster, J. Piaget, H. Atlan, E. Morin, F. Varela etc...). Etonnante lacune à l'heure où la "demande" d'intelligence de la communication est si forte face aux nombreuses entreprises passéistes de "diabolisation" d'une discipline et d'un concept qui sont condamnés avant même de s'être manifestés (ainsi la "critique savonaralonienne" de L. Sfez,1989, aussi déchaînée et stérile que celle d'H. Dreyfus contre les sciences de la cognition). Ce n'est pas le moindre paradoxe de ces nouvelles disciplines. Elles sont proclamées enseignables (il existe des chaires de sciences de la communication sociale dans la plupart des universités occidentales) avant même d'être enseignées de façon quelque peu disciplinée ! Sans doute au nom d'une pragmatique qu'elles revendiquent fort légitimement : "on prouve le mouvement en marchant et le chemin se construit en cheminant".

L'entreprise de D. Bougnoux mérite donc d'être saluée avec enthousiasme et avec admiration : enfin une tentative courageuse pour produire un manuel d'enseignement. "Joyeux fourre-tout, chantier passionnant plein de trouvailles de curiosités d'enjeux industriels et de changements sociaux" annonce l'éditeur de cette "boite à outils" sur la jaquette de couverture. Enthousiasme sincère, mais lucide. Cette tentative n'est pas encore "un coup de maître". Les théories rassemblées ne sont guère "articulées entre elles", et le "projet complexe" des sciences de lacommunication n'est pas encore apparent : la juxtaposition du "medium et du message", du "canal et du code", des "hiérarchies enchevétrées et de la clôture informationnelle", du "calcul et du langage", du "direct et du différé", de la "psychanalyse et de la psychologie de masse", de "l'épistémologie et de la médiologie", du "digital et de l'analogique", etc..., ne suffit pas àétablir un construit théorique "cultivant" !

"Communication et culture : le plus étranger des problèmes" s'étonnait Paul Valéry. Le problème reste encore bien étrange, même si, grâce à D. Bougnoux, il nous devient un peu moins étranger.

Le chantier est ouvert et reconnu dans son inépuisable complexité. Il importe que l'on soit maintenant nombreux à y oeuvrer, avec peut-être une plus grande exigence épistémologique et une attention plus soutenue à la complexité du concept coeur de toute communication : l'ineffable symbole ; avec peut-être aussi une conscience aiguë de l'imbrication de la science de la communication et de la science de l'organisation. Complexe d'actions ayant projets et mémoires.