Chemins de sagesse, traité du labyrinthe

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

S'il n'avait été sous-titré "Traité du labyrinthe", aurais-je ouvert ce livre ? Son titre principal "Chemins de sagesse" n'est-il pas dissuasif ? Tant de gourous et de chamans assurent nous introduire aux chemins de la sagesse qu'on n'en croit plus aucun... sans doute parce que nous préférons... "en marchant construire nos chemins", trouvant quelque éphémère sagesse dans la marche plutôt que dans ces chemins... dont la trace déjà s'efface, "comme le sillage sur l'océan" nous rappelle le poète.

Si le sous-titre m'attirait -comment n'être pas attentif à la puissance quasi mythiquede la métaphore du labyrinthe, lorsqu'on réfléchit passionnément à nos représentations des complexités par lesquelles nous percevons notre rapport au "monde de la vie", je craignais pourtant un de ces exercices de virtuosité rhétorique dont l'auteur, J. Attali se fait volontiers le champion. Mais je me dirais qu'à défaut d'un solide "traité du labyrinthe", je trouverai sans doute un essai scintillant, enlevé, vivifiant... propre à me donner envie de chercher ensuite le traité qu'on m'annonçait... et que je ne comptais pas trouver ? Aussi ne fus-je pas déçu. C'est bien un essai, et non un traité, un essai vite écrit par un esprit curieux, ordonné autour d'une thèse qui n'est pas celle de la symbolisation de la complexité par le mythe du labyrinthe devenant paradigme épistémique ! Surprise, à nouveau, et tonique étonnement du lecteur, la thèse que plaide l'essai est autre ! : le retour en la réinvention du nomadisme, de la culture en alerte du nomade, dans nos civilisations de sédentaires qui ont détruit leur propre capacité à méditer en théorisant le primat de "la ligne droite qui est le plus court chemin pour atteindre le but..." lorsque le but est connu. Mais qui connaît le but ? Le sédentaire alors prend le moyen pour but, et, le baptisant "méthode rationnelle scientifique et optimisatrice", se rassure à bon compte intellectuel. Jusqu'au jour où il redécouvre que le choix du moyen suggère d'autres buts qui à leur tour... Ce jour est-il arrivé ? Alors la métaphore de l'exploration tâtonnante du labyrinthe va reprendre son sens, celui d'une aventure plutôt que celui d'une morale.

Chemin faisant, J. Attali éclaire sa démarche par un jeu d'écriture que je crois très fécond : tous les chapitres et sous chapitres de son essai sont intitulés par un verbe, annonciateur de l'action, et non plus par un substantif, décrivant une chose : le physiologue ainsi l'emporte sur l'anatomiste, le concepteur -ou le systémicien- l'emporte sur l'analyste, la conjonction l'emporte sur la dissection, l'architecte l'emporte sur l'abeille. On n'avait pas encore osé cet exercice, qui incite à méditer sur les relations qui articulent 27 verbes plutôt qu'à lire consciencieusement 235 pages ! (Son éditeur va sans doute protester ! : A quoi sert-il alors ? Croit-il que la lecture linéaire de ces pages dûment numérotées dans l'ordre constituent la seule ou la fructueuse exploration du labyrinthe que... labyrinthent (mais oui, le verbe "labyrinther" se définit et s'utilise fort bien, p. 213)... ces vingt verbes articulés les uns les autres en mille détours qui conduisent peut-être à autant de trésors ? Ainsi peuvent se modéliser, par combinaison d'implexes (... ou de verbes) les complexités que nous percevons de nos relations mouvantes avec l'univers...

Ces jeux de verbes, jeux d'actes de pensée plutôt que jeux de mots, semblent si stimulants qu'on ne peut que s'y prêter, avec plaisir. Un plaisir qu'atténue pourtant la précipitation de l'écriture... Pour vaste et rapide que soit le périple de J. Attali dans l'univers mythique des labyrinthes (mythe étonnamment universel, et il fallait s'en étonner), il oublie ou délaisse bien des îles dans cet archipel. Je pense par exemple à ce précieux conte philosophique narré par H.A. Simon, "Le labyrinthe d'Hugo" (publié en 1992 dans "Models of my life", sous le titre "The apple : a story of a maze", p. 180-188), qui évoque si bien le processus cognitif du chercheur... ne sachant pas très bien ce qu'il cherche-et qui pourtant le trouve. Peut-être ayant lu cet essai, aurez-vous envie d'explorer aussi cet autre labyrinthe ? J'aimerais vous en donner envie ! Et si ce voyage extraordinaire vous passionne, vous pourrez le poursuivre par une autre quête, celle du "Palais de la mémoire" que construisait en Chine, à la fin du XVIe siècle, le jésuite Mattéo Ricci pour émerveiller l'empereur (J.D. Spence "Le Palais de mémoire deM. Ricci", trad. Payot 1986).

J.L. Le Moigne.