
Sur les systèmes auto-organisateurs et leurs environnements
1959 - Traduction française, avril 2011
Présentation de l'ouvrage
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Ndlr. C'est en 1959 que H von Foerster présenta cet article, « Sur les systèmes auto-organisateurs et leurs environnements », article* devenu séminal en France à partir de 1972, année de la parution du numéro 18 de la Revue Communications, « 'L'événement ». Edgar Morin et Henri Atlan y introduisaient 'ce texte fondamental' dans nos cultures sous son titre original anglais « On self organizing systems and their environments ». Mais ce texte fondamental n'avait pas encore été traduit et publié en français, si bien qu'il n'avait guère bénéficié de l'attention qu'il mérite dans les communautés francophones.

On se souvient certes qu'en 2004, le Réseau Intelligence de la complexité avait organisé à Paris une 'Journée en hommage à H von Foerster', journée qui permit l'édition de l'ouvrage « Seconde Cybernétique et Complexité ; Rencontres avec H von Foerster » sous la direction de E Andreewsky et R Delorme, ouvrage qui contribua à raviver l'attention en francophonie à l'oeuvre de ce « Socrate qui ne sépara jamais son travail scientifique de de l'épistémologie qui émergeait du projet de la cybernétique » Quelques autres textes importants déjà traduits en français en diverses circonstances dans les année 70-80 furent retrouvés et recensés par R. Delorme à cette occasion (p.155). Mais 'l'article fondamental, « Sur les systèmes auto-organisateurs et leurs environnements » manquait encore.
La récente parution de l'Anthologie des grands textes consacrés à « LA SOCIETE » par La Collection « L'Anthologie du Savoir » édité par le Nouvel Observateur et CNRS Editions(avril 2011) a suscité une opportunité fort bienvenue en complétant cette collection de textes de quelques uns de grands auteurs classiques des sciences de la société par la traduction française de 'l'article séminal' de H Von Foerster , l'ouvrage étant ouvert par une riche préface d'Edgar MORIN. Ce qui nous a incités à solliciter les éditeurs qui nous ont fort obligeamment autorisé à le publier sur le Site du Réseau Intelligence de la Complexité. Grâce à leur concours, l'article à partir duquel les développements contemporains des recherches sur les phénomènes d'émergence et d'auto organisation devient ainsi aisément accessibles dans toutes les aires francophones sur la toile internet.
Les éditeurs nous ont également autorisés à reprendre le petit texte de présentation qu'ils ont établis pour présenter succinctement l'auteur et son œuvre. Nous pouvons ainsi compléter cette notre note introductive par cette 'mise en contexte de l'article de H von Forster dans une anthologie consacrée au plus complexe des phénomènes, les sociétés humaines en perpétuelle auto organisations, toujours oscillant entre ordre et désordre
HEINZ VON FOERSTER (1911-2002)[1]
Les débats, en sciences humaines, opposent souvent les tenants d'une interprétation particulière, d'un point de vue, ou encore d'un choix philosophique. On considère les problèmes à partir de la biologie, exclusivement, ou à partir de la culture, toujours exclusivement ; on cherche à comprendre la nature de la collectivité en s'appuyant sur les sociétés primitives, simples, ou sur les sociétés modernes, extrêmement complexes ; on ne veut considérer que le fait social, ou la constitution physique, ou les rapports économiques, la technologie, les institutions, etc. Or, lorsque l'on cherche à cerner la société, on additionne d'ordinaire tous ces éléments ; ainsi de la fameuse définition de Tylor : « Totalité complexe qui inclue les savoirs, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes, ainsi que les autres capacités et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société ». On additionne, on énumère, autrement dit on juxtapose, autant de domaines qui, selon la mode des universités, donnent matière à autant de disciplines distinctes, dotées de leur objet ou d'une réflexion sur leur objet, et d'une méthode ou de méthodes. Mais, si tous ces éléments se coordonnent pour créer la réalité sociale, ne faut-il pas songer à une approche, coordonnée elle aussi, de tous ces éléments et de leurs interactions pour en rendre compte ?Heinz von Foerster, viennois et physicien de formation, a été mêlé à la naissance de la cybernétique ensemble avec Norbert Wiener, John von Neumann, et d'autres. Mais, en même temps qu'il fondait cette nouvelle science, il développait sa réflexion dans la direction d'une nouvelle épistémologie.
Foerster insiste, tout d'abord - ce qui va à contre-courant de la démarche habituelle des sciences, qui se réclament de l'objectivité - sur le rôle et la présence de l'observateur. Pour lui, l'observateur se trouve impliqué dans son observation. C'est, en anthropologie, une difficulté ordinaire, rencontrée surtout par ceux qui vont sur le terrain. C'est en revanche une hypothèse fermement écartée par les sciences classiques. En cybernétique, qui fut un de ses domaines d'investigation, cela donnera lieu à la cybernétique de second ordre. Dans la cybernétique de premier ordre, comme il l'appelle lui-même, il ne s'agit que d'observer les systèmes. On parlera, par exemple, de rétroaction dans le cadre des théories du contrôle. Dans la cybernétique de second ordre, on s'interrogera sur les conséquences épistémologiques de cette rétroaction, sur le fait qu'une action a des conséquences en retour sur [e système. Cette nouvelle approche ne pouvait que provoquer une révision de la logique, une prise en considération de l'autoréférence et des paradoxes qu'elle entraine., 'Du point de vue épistémologique, une telle position, sans nier la consistance de la réalité extérieure, ne pouvait plus prétendre que les concepts forgés pour la décrire aient une quelconque objectivité ; puisqu'il n'existe pas d'objet sans un sujet qui l'observe, les conceptions issues de l'observation ne pourront être conçues comme des images de l'objet mais plutôt comme des outils, et en contrepartie, les liens et causalités mis au jour perdront de leur nécessité, écartant ainsi toute tentation de déterminisme. Cette position recevra le nom de constructivisme.
La conférence de 1959 présentée ici porte sur les systèmes auto-organisateurs. L'auto-organisation est un concept assez récent - appliqué à de multiples domaines: cybernétique, biologie, neurophysiologie, etc. - qui prend en considération un phénomène particulier, une dynamique qui voit brusquement émerger un ordre, au sein d'une collectivité d'éléments, qui paraît spontané, ne rien devoir a des causes extérieures,
Heinz von Foerster va montrer qu'il n'existe pas de systèmes auto-organisateurs clos, mais qu'il ne peut exister de tels systèmes qu'en relation avec un environnement adéquat dont ils peuvent tirer l'énergie nécessaire à leur organisation. Maintenant, l'auto-organisation en tant que telle est un phénomène qui intéresse le système dans sa totalité, et qui doit être envisagé à partir de cette totalité. De la sorte, on ne peut l'expliquer en ne tenant compte que de ses éléments. Mais, inversement, puisqu'il n'y a pas de principe d'ordre qui soit imposé à ces éléments, ce n'est qu'à partir des relations qu'entretiennent ces éléments que l'on pourra le comprendre. Si bien qu'il faut considérer que les éléments sont, en leurs relations, la source de l'ordre, quoique pris séparément ils ne sauraient le laisser prévoir Si maintenant, on ajoute à cette schématique l'idée que développe Foerster dans sa conférence : que les systèmes auto-organisateurs ne peuvent exister qu'en relation avec un environnement adéquat, on aura un début de réponse au processus d'auto-organisation, qui ne serait produit ni par les éléments eux-mêmes, ni imposé par leur environnement, mais serait le résultat du jeu qui s'opère entre ce système et son environnement, tel que ce système devient alors ce qu'il fait de ce que l'environnement fait de lui.
On s'est ainsi rapproché de la notion de système complexe qui est liée à celte de système auto-organisateur. Dans les systèmes complexes, les éléments ne sont pas réductibles à un type élémentaire de comportement. Il y a, en eux, une part d'imprévisible, ce qui donne tout son espace aux transformations et aux changements, mais en même temps introduit de l'indétermination. En outre, ces éléments, puisqu'ils forment un système, interagissent entre eux et produisent un certain ordre, ou plutôt, s'agissant d'un système complexe, des ordres, imbriqués, hiérarchisés, qui peuvent eux-mêmes interagirent entre eux. Tout comme dans les systèmes auto-organisateurs, les ordres produits ne sont pas déductibles des seules qualités des éléments, ou de l'environnement seul, et non seulement cela mais, c'est ce qui fait que l'on peut parler de système, les ordres ainsi constitués réagissent - agissent en retour - sur les éléments qui les constituent, faisant émerger de nouvelles qualités. Enfin, comme les systèmes auto-organisateurs, ces systèmes sont en mesure d'évoluer, de se transformer, de modifier leur organisation dès lors qu'ils sont ouverts, en contact avec leur environnement, sans que néanmoins cette évolution ne soit prédictible.
De tels systèmes ne peuvent évidemment pas être maîtrisés, pas plus qu'on ne saurait les déduire à partir d'un ou plusieurs des éléments qui les composent. Et, de la même façon qu'en eux se lient de multiples interactions, c'est en liant de multiples perspectives que l'on pourra espérer les aborder. Ainsi peut-on dire, concernant la société, que Durkheim n'avait pas tort quand il considérait la dimension collective, mais qu'il n'avait pas raison de s'y arrêter; que Tarde n'avait pas tort de prendre appui sur l'individu, mais qu'il n'avait pas raison de ne vouloir s'en tenir qu'à lui. Qu'il faut, pour rendre raison de la société, tenir les deux ensembles.
En revenant à la remarque d'Auguste Comte, que la société est, de tous les systèmes, te système le plus complexe, on comprendra dès lors qu'une approche cohérente de ce phénomène doivent d'abord passer par une prise en compte de la complexité
1 .Cette note de présentation est reprise de l'Anthologie du Savoir -volume 'La Société' , avril 2011, p 647-650.