Stratégie Organisationnelle par le Dialogue

Note de lecture par PISSOCHET François

Cet ouvrage collectif nous invite à repenser nos pratiques dans le champ des organisations à travers le prisme du dialogue, facteur essentiel, comme le souligne Dominique Genelot dans la Postface « pour organiser toute vie sociale et conduire les activités humaines » (p.167). Loin de proposer des recettes ou un guide méthodologique de bonnes conduites, les auteurs déclinent une certaine philosophie de l'interaction qui permet à chacun de se sentir concerné dans son propre champ d'intervention en fonction de ce qu'il est, de son projet et de son contexte.

J’avais eu le plaisir de participer à la journée du 15 janvier 2015 à l’IAE de Grenoble, à l’origine de ce livre. Ce fut un grand moment convivialautour de Marie-Josée Avenier, moment de reliance entre chercheurs académistes et praticiens, moment de partage d’expériences et de réflexions qui autoalimentaient de manière récursivedes concepts de la pensée complexe. De cette diversité d’approches et d’expériences d’acteurs passionnés par les questions de stratégie organisationnelle, se dégageait une grande congruence dans un langage porteur d’’interactivité.Psychologue clinicien, psychothérapeute, thérapeute familial systémique, professionnel réflexif du secteur médico-social, j’ai résonné, lors de la journée du 15 janvier 2015, aux divers échanges, prenant beaucoup de plaisir à glaner nombres d’émergences qui venaient nourrir mes propres questionnements, réflexions, élaborations du moment. Se plonger dans la lecture de cet ouvrage collectif relevait d’une envie naturelle de retrouver un peu de ce plaisir éprouvé mais aussi de reconsidérer de manière plus objective la qualité des premières résonnances.

 

Ce livre coordonné par Nathalie FABBE-COSTES et Laurence GIALDINI est le prolongement naturel de cet évènement, mais avec plus d’ambition encore. Il rassemble les mêmes personnes dans la richesse de leur diversité, toutes désireuses d’approfondir et de partager expériences et réflexions pour démontrer « les vertus du dialogue pour éclairer la construction des stratégies organisationnelles et celles des connaissances relatives à la mise en œuvre de ces stratégies. »(p.18). Les communications orales se sont enrichies en passant par l'écrit permettant de vérifier une fois encore que si chacune des parties participe au tout, le tout est bien plus que la somme des parties.

En effet, il ne s’agit pas d’une juxtaposition de communications compilées. Une ligne directrice très nette se dégage en forme de démonstration à laquelle chaque auteurapporte son élaboration. Les communications s’interpellent, se répondent, s’alimentent réciproquement, se développent en autant de points de vue différents mais convergents, procédant d’une même finalité que l’on pourrait résumer de la façon suivante : « Pour évoluer dans une organisation complexe, non seulement il semble nécessaire de définir une stratégie organisationnelle, mais il est indispensable qu’elle s’organise par et dans le dialogue ».Si ce travail s’adresse aux chercheurs et praticiens réflexifs de tous secteurs d’activité, engagés dans l’organisation d’actions collectives, comme à tous les étudiants en master ou doctorat qui s’intéressent aux questions de management stratégique, ma lecture décalée permet de l’ouvrir à tout professionnel quel que soit son secteur d’activité, bien au-delà du champ ciblé pat les auteurs.

Jean Louis Le Moigne pose d’emblée le cadre, fixe l’orientation de la réflexion avec la nécessaire et inévitable dialogique du faire et du comprendre, invitant chacun à exercer son « ingenium en privilégiant les connaissances que nous livrent les sciences des processus de conception de projets plus que celles que nous livrent les sciences d’analyse d’objet », nous appelant à développer « une culture de veilleur … en s’interrogeant sur ce que sont les enjeux et sur ce qui est en jeu par leurs actions » (p.31).  Cette culture du veilleur invite le lecteur à aller au-delà de d’une simple lecture informative pour questionner ce qui est en jeu et quels sont les enjeux dans son propre acte de lecture, à devenir acteur, comme dans l'écologie de l'action (Edgar Morin), dans cette ‘écologie du propos’ qui échappe à la volonté de ses auteurs en entrant dans le jeu des inter-rétro-actions avec les lecteurs, chaîne réflexive d’une éthique de la compréhension.

Alain-Charles Martinet abonde dans ce sens en ouvrant sur la pensée complexe et la nécessaire dialogique généralisée seule théorie générale possible, ou mieux, le paradigme permettant la construction de savoir d’action et de stratégie (p.40) tout en rappelant que « les concepts sont … des termes opératoires, des formes, des enveloppes sémantiques qui guident des parcours d’action possible », et que l’on peut entendre également comme des ‘parcours d’action de penser’ possible.

De même ‘qu’on ne peut pas ne pas communiquer’ on ne peut pas ne pas mettre en œuvre une stratégie en intervenant dans une organisation, positionnement stratégique qui peut aller jusqu’à ne pas envisager de stratégie formelle. Marie-José Avenier avec le concept de ‘stratégie chemin faisant’ montre qu’en situation complexe il est nécessaire d’avoir une intervention délibérée ouverte sur les retours d’expérience qui prennent en compte l’évolution des contextes, d’autant plus que l’on a affaire à de l’humain avec toute l’interpellation que la subjectivité propose à l’objectivité. Toujours réinterroger ‘ce par quoi nous tenons’ (Nathalie Couix p.57), instaure le climat favorable à un dialogue productif libérant l’évaluation chemin faisant de ‘ce à quoi nous tenons’.

Pour le lecteur, au-delà de l’adhésion au propos, peut s’installer un véritable dialogue entre ce qui est écrit et ce qu’il vit. Cette entrée en matière l’amène à prendre aux mots les intentions exprimées et engager une lecture délibérée d’ouverture pour voir si les concepts développés dans cet ouvrage, opératoires dans le champ déterminé des organisations d’actions collectives et du management, peuvent l’être dans d’autres secteurs d’activités que l’entreprise, abordés par la même porte d’entrée de l’agir & penser en complexité, notion construite au fil des échanges au sein de MCX, comme nous invite judicieusement Marie-José Avenier en revisitant le concept de ‘stratégie chemin faisant’. Les sensations et émotions subjectives ne sont  plus des handicaps, elles participent activement à l’enrichissement de la compréhension dans le processus d’intervention intentionnelle.

Les témoignages des deux entrepreneurs sur la pertinence de l’agir & penser en complexité, font d’ailleurs écho à toutes ces situations complexes rencontrées dans lesquelles les problèmes-solutions questionnent nos représentations, notamment celles qui surgissent dans nos interventions de relation d’aide ou du soin.

Dans ce champ, nous avons aussi affaire avec des formes d’organisation. L’individu, le couple, la famille, le groupe, possèdent leur propre type d’organisation au service d’une économie vitale. Pour l’individu ne parle-t-on pas d’organisation de la personnalité, voire d’organisation psychique. Il est aujourd’hui de plus en plus évident de penser les couples, familles et groupes, comme autant de systèmes homéostatiques dans l’organisation desquels il est possible de repérer des normes sous forme d’impératifs communs qui se concrétisent sous forme de règles qui régissent les comportements des membres entre eux et vis-à-vis de l’extérieur.

L’entreprise est un système de relations soutenues par l’expérience partagée entre les différents intervenants’. (Marielle Bolch-Dolande p. 82). L’intervention médico-sociale ou thérapeutique ouvre un espace relationnel où professionnel et usager vivent une expérience partagée avec des objectifs à atteindre, analogie tout à fait pertinente avec le monde de l’entreprise. L’espace thérapeutique  se trouve repensé analogiquement ainsi à la lumière de l’entreprise en lien avec le chercheur académique : le patient, dans son réel, se trouve en difficulté dans la gestion de son organisation ; il en est l’expert en panne et en attente d’aide à la compréhension pour qu’un changement s’initie. Le thérapeute dispose de clés de compréhension a priori, qu’il pense logiquement pertinentes pour débloquer certaines situations. L’espace thérapeutique devient le lieu pour confronter, chacun avec son savoir, à ce qui fait problème pour le redéfinir autrement.

Ce faisant, le professionnel, y compris thérapeute, expérimente une sorte de ‘management dialogique’ de cet espace, qui conduit en quelque sorte à ‘dé-psychologiser’ l'individu, le couple, la famille dans leurs actions de vivant, en les pensant et les abordant en ‘organisation’. Cet autre type de configuration et de positionnement, destiné à stimuler la créativité et l’énergie du système, génère un nouveau contexte, décalé, pour proposer et expérimenter une mise en pratique de stratégies organisationnelles chemin faisant.

Le dialogue est à la base même de la relation d’aide. Mais à bien y regarder, comment ne pas percevoir que le ‘dia’ enfermé dans le ‘mono’ ne débouche, le plus souvent, que sur des réponses insatisfaisantes. Dans le dialogue, l’apport de l’extérieur permet de questionner l’intérieur

Les moments saisissants existent aussi dans ces instants perceptibles où quelque chose se passe sans qu’on puisse définir quoi, mais qui laisse une trace sensorielle, émotionnelle dans un climat qui change. Cela renvoie par exemple à ces ‘instants fondateurs du couple’ que décrit Robert Neuburger, moment émotionnel, souvent irrationnel, qui signe le sentiment du ‘nous – couple’ dans sa différenciation et sa création. C’est aussi l’émergence de l’émotion comme résurgence de la corporéité, communication du corps aux fins de reconnaissance et de connaissance.

Cet ouvrage Incite à s’impliquer et à s’engager, à expérimenter en lien avec le faire et le penser, à sortir des construits établis, d’une logique de problèmes pour une logique de problématisation pour vraiment ‘penser & agir en complexité’.

 

François PISSOCHET