CHANTIER OUVERT AU PUBLIC. LE VIEL AUDON, VILLAGE COOPERATIF

Note de lecture par ADAM Michel

Le Viel Audon est un petit village abandonné vers la fin du 19è siècle, qui revit aujourd’hui grâce à l’implication exceptionnelle de quelques pionniers qui en sont tombés amoureux dans l’après 68... Et peu à peu leur démarche de coopération, ouverte à tous et sans droit d’entrée autre que le travail de restauration, s’est structurée, les statuts coopératif et associatif ont été testés. L’association a été retenue, elle s’appelle Le Mat en hommage au fou du tarot !

« Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions », cette phrase de Jean Monnet éclaire à merveille la renaissance du Viel Audon que conte Béatrice Charras. Elle a réveillé ce petit village magnifique accroché à une falaise dans les gorges de l’Ardèche,  avec son compagnon Gérard et tant de pionniers autour d’eux. Ce récit me rappelle de semblables aventures, personnelles et collectives en terre cognaçaise, trop vite terminées.

Cette oeuvre de coopération1 est d'abord l’aventure de deux personnes, comme souvent dans l'économie sociale et solidaire, en couple de surcroît. "Il n'est de projet que d'homme" disait lors de la fondation de ma SCOP2 Episcope, Charles Jousselin, un des sept fondateurs de la communauté de travail de Boismondau3, menuisier et PDG d'une SCOP de 75 coopérateurs à Niort, l’Organisation des Compagnons Menuisiers (OCM).

C'est aussi dès le départ et de plus en plus une aventure de transmission : l'homme clé Gérard Barras était architecte, ce qui est utile pour reconstruire un village, et de plus il avait suivi tout enfant son père sur les chantiers, maçon et donc bâtisseur. Force du modèle en actes. Toute la reconstruction puis les différentes activités qui se multiplient aujourd'hui se sont bâties pour ou autour de la transmission aux jeunes, dans une pédagogie de l'autonomie, un « faire pour comprendre » (le droit à l'erreur) et « comprendre pour faire », par exemple quand ils montent les premières voûtes en pierre. Construire pour se reconstruire, devise des chantiers d’insertion. La transmission se fait peu à peu idéologie au sens fort, ciment symbolique qui permet de résister aux autres idéologies concurrentes (par exemple Longo Maï).

Mais c'est également, le récit l'élude avec pudeur, l'abandon progressif des amis du début qui s'en vont, tant le projet fait obsession chez les deux fondateurs qui ont tenu le cap. Cet aspect plus douloureux du choix du projet plutôt que de la cohésion du groupe a enfanté l’association Le Mat devenue une petite institution à son tour.  Souhaitons lui de rester longtemps instituante...

Enfin, une dimension très forte apparaît autour de la notion de biens communs hors de l'univers marchand, de « bien privé d’intérêt général », elle mériterait d'être approfondie.

Dans mon approche par le modèle des « trois pour4 », Le Viel Audon est né d’un « pour nous » qui intègre dès le départ un « pour eux » (chantier ouvert « au public ») celui des jeunes venus périodiquement à chaque vacance scolaire participer avec joie et passion à la restauration des ruines existantes. Ce « pour eux » sert le « pour nous » des fondateurs au début, il leur est indispensable, la main d’oeuvre est motivée et gratuite, pleine d’idées, de force et d’enthousiasme juvénile. En échange, les « eux » reçoivent des souvenirs exaltants, des rencontres émouvantes et des apprentissages sur le tas. 

Mais peu à peu, le moyen se métamorphose en une des fins du projet fou (le Mat du tarot), le « pour nous » sert de plus en plus le « pour eux ». Il en naît une association dont le coeur bat très fort autour du phénomène de la transmission. Bel exemple de réciprocité et d’ouverture d’un « pour nous » qui se fonde alors dans la longue durée, retrouvant le message initial de l’économie sociale du 19è siècle, si solidaire. Passage du témoin, force du relais, nos savoir-faire appartiennent à l’humanité, en devenir... durable ?

L’acte de transmission d’un savoir-faire multiforme à des plus jeunes engendre la renaissance des maisons puis du village (dans village il y  a vie) et sa transmission aux générations suivantes ; la transmission engendre encore plus de transmission en une boucle de rétro-action positive et fertile. Le contexte rude et abandonné en est bouleversé, il revit ! Le travail humain a joué son rôle dans une direction féconde et le monde produit (au sens de notre tome 1) en est amélioré. Une écologie de la transmission s’esquisse, le Viel Audon en a jointé les premières pierres. Que tous en soient remerciés.

Michel ADAM, avril 2009


[1] Il existe pas moins de 12 types de coopératives !

[2] Société Coopérative Ouvrière de Production : les travailleurs salariés y sont aussi les employeurs patrons.

[3] Fondée en 1946 près de Valence dans l’esprit de recherche d’un monde meilleur né dans la résistance au nazinsme

[4] Trois chemins vers l’entreprise ; l’entreprendre au pluriel, L’Harmattan, à paraître