C.S. Peirce et le Pragmatisme

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Les recherches en modélisation de la complexité, dès qu'elles sortent des sentiers battus des réductionismes et des positivismes, rencontrent volontiers les riches contributions des Pragmatistes nord-américains du début du siècle : on a déjà évoqué, dans les Cahiers des lectures MCX, les apports potentiels de W. James, de J. Dewey ou, plus récemment, de R. Rorty. Non moins spontanément, et souvent plus volontiers encore, les sciences des systèmes et de la complexité, se référent aussi aux thèses et aux concepts modélisateurs développés par C.S. Peirce, le "fondateur" du Pragmatisme contemporain (et sans doute de la ou d'une sémiotique) : les recherches en Intelligence artificielle par exemple, trouvent depuis une dizaine d'années dans le concept de raisonnement abductif, restauré et développé par C.S. Peirce une source féconde d'investigations méthodologiques puissantes et originales. Et l'anti-cartésianisme fort argumenté développé par cet inclassable épistémologue (ou logicien ?) américain, constitue une référence solide et bienvenue pour placer quelques nouvelles têtes de pont dans nos entreprises collectives de reconstruction épistémologiques dans une cité scientifique en crise !

Il reste que le lecteur de C.S. Peirce trouvait souvent sous sa plume des thèses ou des propos, qui s'articulaient malaisément (voire pas du tout) avec les interprétations constructivistes que le pragmatisme incite à privilégier, si bien que l'on hésitait parfois à explorer son oeuvre pour enrichir nos expériences modélisatrices, craignant quelques erreurs d'interprétation (d'autant plus que le lecteur francophone y accède souvent par des textes de seconde main). C'est un des grands mérites du court et dense essai de C. Tiercelin que de nous aider à mieux comprendre l'extrême complexité de la penséede C.S. Peirce, irréductible en effet au Pragmatisme classique comme au fond "à toute doctrine finie". L'oeuvre est trop ample (près de cinquante années d'écriture presque ininterrompues, peu publiée de son vivant) et trop "en recherche" (ou plutôt "en enquête"- inquiry), pour que l'on puisse légitimement la comprendre de façon "stable" par rapport aux courants de pensée dans lesquels elle s'est développée (positivisme logique, nominalisme, pragmatisme, etc...). Mais cet exposé a en outre le mérite de bien mettre en valeur certaines des grandes réflexions méthodologiques explorées par C.S. Peirce, notamment la thèse de "la manipulation des signes comme méthode scientifique": cinquante ans plus tard, H.A. Simon et A. Newell développèrent la théorie de l'intelligence modélisatrice par computation de symboles, qui, bien qu'indirectement, et avec des définitions plus affinées et plus générales et des "expériences" plus convaincantes - informatique aidant - peut être comprise aussi dans cette perspective méthodologique).

J.L.M.